Compte-rendu de la réunion du 14 novembre 1961

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OUVROIR DE
LITTERATURE
POTENTIELLE

Circulaire n°15

REUNION DU 14 NOVEMBRE 1961

PRESENTS : QUEVAL,
QUENEAU, LE LIONNAIS, LESCURE, LATIS, DUCHATEAU,

ARNAUD, SCHMIDT.

EXCUSES : BERGE, BENS.

PRESIDENT : LATIS.

(Note préliminaire : la dernière circulaire, numérotée 13, était en réalité la quatorzième.
Prière de rectifier à la main sur votre exemplaire. Merci.)

LATIS : Je vais être obligé de parler de
nouveau du Dossier du Collège
consacré à l’OuLiPo.

(Lourd silence)

LATIS : Un lucide examen du sommaire,
effectué avec le Provéditeur-Editeur Général Robillot, me fait, nous fait craindre que les activités de l’OuLiPo ne
paraissent bien maigres.

QUENEAU : Le Provéditeur-Editeur Général
est pragmatique. Un bon numéro vaut mieux que deux.

LATIS : Ce numéro peut donner
l’impression que la montagne accouche d’une souris. Nos lecteurs sont difficiles. Et nous
devons bien constater que, dès que l’OuLiPo a eu quelque chose à faire, il n’a plus rien
fait.

ARNAUD : Ce dossier ne représente pas les
intentions de l’OuLiPo, ni ne figure ses buts.

LATIS : C’est mon avis, et je le
partage.

QUEVAL : Eh bien, vous voilà trois :
Latis, Arnaud et Latis qui est d’accord avec tous les deux.

LE LIONNAIS : Etait-on réellement prêt ?
Mieux : pouvons-nous, étant donné la nature de nos travaux, décider à l’avance que nous
serons toujours prêts à date fixe ?

ARNAUD : Il n’est pas question que
l’OuLiPo se soumette au rythme de parution d’une revue.

LE LIONNAIS : Peut-être faudrait-il
revoir nos méthodes de travail. Nous pourrions, par exemple, créer des sous-commissions.

ARNAUD : L’OuLiPo est déjà une
sous-commission…


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      LE LIONNAIS : Disons, si vous voulez,
      des sous-sous-commissions de la S.C. de l’OuLiPo.

      LESCURE : Le Satrape a raison.

      LE LIONNAIS : Vous me flattez.

      LESCURE : Je n’ai pas de mémoire.

      (Rappelons que le dataire Bens s’est déjà
      vu décerner le même titre de Satrape
      par le TS Raymond Queneau. Décidément,
      c’est une dénomination bien galvaudée.)

      LE LIONNAIS : Réunis en petits groupes
      de travail, nous pourrions plus aisément chercher la généralisation des règles ou méthodes
      que nous aurions découvertes. D’autre part, nous aurions la possibilité d’appliquer
      systématiquement ces règles ou méthodes à de nombreux textes.

      LA SERVEUSE : Tomates nature,
      tomates-concombres…

      LATIS : Justement…

      LA SERVEUSE : Voici le
      beurre.

      LATIS … je me suis penché sur la redondance. J’ai étudié la redondance chez ‘mond ‘neau. Voici ce que cela
      donne.

      (Lecture des OuLiPotages de Latis. Leur publication dans le Dossier est adoptée.)

      LATIS : D’une manière analogue, j’ai fait
      appel à deux Régents du Collège pour appliquer la méthode lescurienne S+7 à des textes
      tirés de la Bible.

      (Lecture est également faite de ces traitements.)

      SCHMIDT : C’est du Fabre d’Olivet.

      LE LIONNAIS : Il est certain que la
      Bible prend ici un intérêt tout-à-fait
      nouveau.

      LATIS : Ce qui serait intéressant, c’est
      de traiter le texte hébreu lui-même, au moyen d’un dictionnaire hébraïque quelconque. Puis,
      de traduire le résultat.

      SCHMIDT : En tout cas, le génie des langues apparaît dans chaque
      texte.

      LE LIONNAIS : La densité.

      SCHMIDT : La gnomè de la langue hébraïque.

      QUENEAU : Nous avons donc eu raison de ne
      rien faire.

      LESCURE : En somme, ce que Latis a fait, c’est de la prospection.

      QUEVAL : Bravo.

      LE LIONNAIS : Sans doute faut-il étendre
      notre action. Ce traitement de la Bible nous
      permet dès à présent d’envisager une généralité de la méthode lescurienne. Nous pourrions
      poser : S = f(n).

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          L’on pourrait songer à des additions de
          textes, ou à des multiplications. Par
          exemple : additionner la Bible à la Famille Fenouillard.

          LA SERVEUSE : Les poulets, c’est
          pour qui ?

          QUEVAL : Mangeons.

          LESCURE : Mangeons.

          QUENEAU : Moi, je n’ai aucune
          communication à faire.

          QUEVAL : Eh bien, mangeons tous.

          LATIS : J’ai quelques remarques à vous
          présenter sur l’importance de la diérèse dans
          les tragédies de Racine. Les premiers vers de ces tragédies contiennent souvent des allusions singulières. En voici quelques
          exemples :

          • BERENICE :Arrêtons un moment ;
            la pompe de ces lieux

          Je le vois bien, Arsace, est nouvelle
          à vos yeux.

          Souvent, ce cabinet, superbe et solitaire,

          Des secrets de Titus est le
          dépositaire.

          C’est vous-même, Seigneur ? Quel important besoin

          Vous a fait devancer l’aurore de si loin ?

          Je vous engage à chercher dans les autres pièces, et je vous promets des découvertes.

          LATIS : Pour étoffer notre numéro, il m’a
          semblé que l’on pourrait y joindre une sorte de compte-rendu général des séances.
          Naturellement, il faudrait doser l’ensemble.

          QUEVAL : Doser ou d’oser…

          LATIS : Qu’il me soit permis de faire une
          suggestion au TS Raymond Queneau. Il
          manque au Dossier la Littérature Potentielle sous son
          jour le plus potentiel.

          QUEVAL : Ouais.

          LATIS : Le Satrape pourrait indiquer des voies de développement. En quelque sorte, l’idée
          platonicienne de la LiPo est infléchie. Le
          Satrape doit la rétablir dans sa
          Postface.

          SCHMIDT : On aura une communication de Jean Nocher.

          ARNAUD : Jusqu’ici, il s’agit plutôt
          d’une Littérature
          Prépotentienne
          .

          QUENEAU : Nous sommes les Képler des futurs Newton.

          LATIS : Et l’illustration ? Ne pourrait-on avoir quelques
          photographies ? Nous aurons celle du TS
          Queneau décorant le Rt Le Lionnais. Nous aurons

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              aussi la machine de Swift. Peut-être
              un portrait de Galois…A propos de
              Galois, j’ai relu l’inventaire de
              Bens. Et je crois que l’émotion vient,
              non du texte lui-même, mais de ce que l’on sait de la vie de Galois qui est, évidemment, très
              émouvante.

              QUEVAL : Je suis en train de relire
              le-plus-grand-romancier-français-vivant, je veux dire : Simenon. Lorsque Simenon écrit : “Il s’assit en face d’un
              homme qui lui tournait le dos”, qu’est-ce qu’il veut dire ? C’est du pastiche involontaire, dira-t-on. Oui,
              peut-être. Il me semble que nous pourrions établir un petit inventaire des choses à ne plus
              utiliser, des perspectives où nous n’avons
              pas à nous engager. Le populisme, c’est comme
              les cuisinières.

              LE LIONNAIS : Quelle imagination.

              QUEVAL : Non, c’est un exemple.

              LESCURE : La cuisinière, quelle
              cuisinière ?

              QUEVAL : La cuisinière d’autrefois, avec
              les belles casseroles.

              LESCURE : La cuisinière à charbon ?

              LA SERVEUSE : Il y a quelque
              chose qui ne va pas ?

              (Personne ne lui répond, sauf Duchateau
              qui, d’un signe, lui indique que tout va bien.)

              QUEVAL : Quand le père Lamartine écrivait : “Objets inanimés”,
              etc.…, ça correspondait à un monde où il y avait des cuisinières. Maintenant, c’est fini.
              Ces voies-là nous sont fermées.

              LE LIONNAIS : l’antepotentialisme

              LATIS : Valéry suggérait un recueil des débuts de
              romans.

              QUENEAU : Il y a aussi “L’Imitation de soi chez
              Corneille
              ”, de François
              Rostand
              .

              LATIS : On ne peut reprocher aux gens de
              continuer à parler leur langage.

              LE LIONNAIS : Bien sûr, mais il
              conviendrait d’établir une distinction entre parler le même langage et dire la même chose.

              LATIS : Une dernière remarque concernant
              la fameuse définition de la philosophie. La
              définition donnée par le dataire Bens
              n’est pas mauvaise, mais ce n’est pas celle que j’avais donnée. D’ailleurs, je n’ai jamais
              parlé de mauvaise ou de bonne définition de la philosophie

              ARNAUD : Et ce n’était pas la définition
              de Latis, mais une citation…

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                  LATIS : … d’un vieux latiniste nommé
                  François.

                  LATIS : Autre rectification : la méthode Piscator (le décalage des répliques) est de
                  Madame Lei-Piscator,
                  veuve de Piscator, devenue Lei on ne sait à la suite de quelles
                  circonstances.

                  LE LIONNAIS : On a supprimé Shakespeare ? C’est dommage, parce que si
                  Shakespeare, c’est que je
                  meurs ; et si je meurs, je veux commentaire…

                  SCHMIDT : Je voudrais vous parler de
                  deux textes de Ludwig Harig, qui
                  peuvent présenter quelques caractères expérimentaux, sinon potentiels.
                  Le premier part de quelques phrases traitées comme des symptômes primitifs. Ces phrases forment
                  le prétexte d’associations libres
                  qui circonscrivent des thèmes
                  inconscients
                  . Le sujet en est : la Côte d’Azur. Le second texte s’efforce
                  d’appliquer aux mots les règles de la fugue.
                  Cette sorte de “Fugue de la Parole” est
                  musicalement exacte. Ces méthodes sont donc
                  intéressantes. Mais les résultats sont un peu décevants, parce qu’ils paraissent ressortir à
                  un expressionnisme assez dépassé
                  aujourd’hui.

                  LE LIONNAIS : Ce que vient de dire
                  Albert-Marie Schmidt me semble appeler
                  quelques remarques. D’abord, il faudrait pouvoir faire la différence entre les procédés et
                  la poésie qui peut (ou non) en résulter. Au fond, notre rôle est d’inventer des procédés et
                  de les lancer pour que la poésie s’en empare.

                  SCHMIDT : C’est dangereux.

                  LE LIONNAIS : Celui qui a lancé le
                  sonnet…

                  QUENEAU : C’était un poète !

                  LE LIONNAIS : Peut-être.

                  SCHMIDT : Nous revenons à l’éternelle
                  question de la subjectivité.

                  ARNAUD : Notre jugement doit porter sur
                  les procédés.

                  LE LIONNAIS : … Ensuite, il faudrait
                  pouvoir distinguer mathématiques et calcul. Les procédés booléens relèvent des
                  mathématiques ; la méthode
                  lescurienne
                  , du calcul.

                  LESCURE : Si les mathématiques ne sont
                  pas le calcul, le calcul est dans les mathématiques !

                  LATIS : Il vaut mieux que le calcul soit
                  les mathématiques que dans l’airain.

                  QUENEAU (à Lescure) : Note.

                  LE LIONNAIS : Quand on parle de fugue,
                  il faut prendre des notes. Une autre généralisation de la méthode lescurienne pourrait apparaître
                  à l’occasion d’une étude des renversements réels en littérature.

                  (Quelqu’un signale que le dataire Bens
                  s’intéresse au problème de la fugue.)

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                      LE LIONNAIS : L’intérêt de la communication d’Albert-Marie Schmidt me semble résider en ceci :
                      elle devrait nous amener à ouvrir dans l’OuLiPo une…

                      LATIS : … intermission …

                      LE LIONNAIS : … tendant à considérer les
                      travaux internationaux de LiPo.

                      QUENEAU : Ah voui. Le groupe allemand.

                      SCHMIDT : Il y a aussi un groupe belge.

                      LATIS : Ah, les Belges ! Alors !

                      LE LIONNAIS : Pas de nationalisme.

                      LATIS : Ce n’est pas du nationalisme,
                      c’est du racisme. Et je m’en lumumbise.

                      ARNAUD : Sur les deux joues.

                      LE LIONNAIS : Un saut trouve toujours un
                      plus sot qui l’admire.

                      QUENEAU : Note. Je propose que l’on
                      demande aux éléments éloignés de nous signaler, suffisamment à temps, leurs passages à
                      Paris. Par exemple : Guiraud, à Groningue ; Quemada, à Besançon ; Bense, à quelque part. Il
                      y a sans doute d’autres noms à citer et à agréger.

                      ARNAUD : J’aimerais vous signaler le
                      projet de création d’un Institut International
                      du Néologisme
                      , dont Queneau
                      sera sans doute président d’honneur. Est-ce qu’un tel Institut vous semble piétiner les
                      platebandes OuLiPiennes ? (Silence. Il se répond :) Non.

                      LE LIONNAIS : La création des mots ne
                      devrait pas nous être étrangère.

                      ARNAUD : Le néobelge

                      LATIS : A mort.

                      ARNAUD : Ferdière ?

                      LATIS : Quelle salade.

                      (La serveuse surgit.)

                      ARNAUD : Pas de jugement de valeur.

                      (La serveuse disparaît, perplexe.)

                      ARNAUD : Oui ou non, les néolangages sont-ils de la compétence de
                      l’OuLiPo ?

                      LATIS : Ne sont-ils pas au-dessus des
                      forces des membres qui…

                      QUENEAU : Les travaux de néolangage sont d’ordre lexicologique, tandis
                      que nos travaux sont syntaxtiques, rhétoriques et poétiques.

                      QUEVAL : Mon petit grain, c’est potentiel : un ptit sédiment.

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                          QUENEAU : C’est un objet.

                          LE LIONNAIS : Pas d’avis. Un objet,
                          voui. Mais la littérature est vocabulaire et syntaxe. Nous pouvons donner des procédés de
                          néologisation. On accepte, quitte à
                          préciser par la suite qu’on ne s’en occupe pas. Les procédés de néologisation sont de notre domaine. Le néologisme en soi, non. Le mot créé est un objet
                          qui s’épuise dans sa consommation. Nous ne devons pas nous limiter dans notre action. La
                          postérité est là qui nous attend, Messieurs, ne l’oublions pas.

                          LESCURE : Cherchons donc le procédé à
                          faire des procédés…

                          LE LIONNAIS : A l’ordre du jour !

                          La prochaine séance aura lieu :

                          MARDI 19 DECEMBRE A 12 H 15

                          (au lieu de 12 h 30, pour bien marquer le désir qu’a l’OuLiPo d’accroître son effort.
                          Certains avaient proposé 12 h ; des provocateurs, sûrement.)

                          Tout pouvoir est donné à Latis pour
                          bricoler le Dossier OuLiPo.

                          Vœux à Bens, grippé. (Merci. J.B.)

                          Par intérim :

                          J.L. et J.D.

                          Texte

                          OUVROIR DE
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                          Circulaire n°15

                          REUNION DU 14 NOVEMBRE 1961

                          PRESENTS : QUEVAL,
                          QUENEAU, LE LIONNAIS, LESCURE, LATIS, DUCHATEAU,

                          ARNAUD, SCHMIDT.

                          EXCUSES : BERGE, BENS.

                          PRESIDENT : LATIS.

                          (Note préliminaire : la dernière circulaire, numérotée 13, était en réalité la quatorzième.
                          Prière de rectifier à la main sur votre exemplaire. Merci.)

                          LATIS : Je vais être obligé de parler de
                          nouveau du Dossier du Collège
                          consacré à l’OuLiPo.

                          (Lourd silence)

                          LATIS : Un lucide examen du sommaire,
                          effectué avec le Provéditeur-Editeur Général Robillot, me fait, nous fait craindre que les activités de l’OuLiPo ne
                          paraissent bien maigres.

                          QUENEAU : Le Provéditeur-Editeur Général
                          est pragmatique. Un bon numéro vaut mieux que deux.

                          LATIS : Ce numéro peut donner
                          l’impression que la montagne accouche d’une souris. Nos lecteurs sont difficiles. Et nous
                          devons bien constater que, dès que l’OuLiPo a eu quelque chose à faire, il n’a plus rien
                          fait.

                          ARNAUD : Ce dossier ne représente pas les
                          intentions de l’OuLiPo, ni ne figure ses buts.

                          LATIS : C’est mon avis, et je le
                          partage.

                          QUEVAL : Eh bien, vous voilà trois :
                          Latis, Arnaud et Latis qui est d’accord avec tous les deux.

                          LE LIONNAIS : Etait-on réellement prêt ?
                          Mieux : pouvons-nous, étant donné la nature de nos travaux, décider à l’avance que nous
                          serons toujours prêts à date fixe ?

                          ARNAUD : Il n’est pas question que
                          l’OuLiPo se soumette au rythme de parution d’une revue.

                          LE LIONNAIS : Peut-être faudrait-il
                          revoir nos méthodes de travail. Nous pourrions, par exemple, créer des sous-commissions.

                          ARNAUD : L’OuLiPo est déjà une
                          sous-commission…

                          LE LIONNAIS : Disons, si vous voulez,
                          des sous-sous-commissions de la S.C. de l’OuLiPo.

                          LESCURE : Le Satrape a raison.

                          LE LIONNAIS : Vous me flattez.

                          LESCURE : Je n’ai pas de mémoire.

                          (Rappelons que le dataire Bens s’est déjà
                          vu décerner le même titre de Satrape
                          par le TS Raymond Queneau. Décidément,
                          c’est une dénomination bien galvaudée.)

                          LE LIONNAIS : Réunis en petits groupes
                          de travail, nous pourrions plus aisément chercher la généralisation des règles ou méthodes
                          que nous aurions découvertes. D’autre part, nous aurions la possibilité d’appliquer
                          systématiquement ces règles ou méthodes à de nombreux textes.

                          LA SERVEUSE : Tomates nature,
                          tomates-concombres…

                          LATIS : Justement…

                          LA SERVEUSE : Voici le
                          beurre.

                          LATIS … je me suis penché sur la redondance. J’ai étudié la redondance chez ‘mond ‘neau. Voici ce que cela
                          donne.

                          (Lecture des OuLiPotages de Latis. Leur publication dans le Dossier est adoptée.)

                          LATIS : D’une manière analogue, j’ai fait
                          appel à deux Régents du Collège pour appliquer la méthode lescurienne S+7 à des textes
                          tirés de la Bible.

                          (Lecture est également faite de ces traitements.)

                          SCHMIDT : C’est du Fabre d’Olivet.

                          LE LIONNAIS : Il est certain que la
                          Bible prend ici un intérêt tout-à-fait
                          nouveau.

                          LATIS : Ce qui serait intéressant, c’est
                          de traiter le texte hébreu lui-même, au moyen d’un dictionnaire hébraïque quelconque. Puis,
                          de traduire le résultat.

                          SCHMIDT : En tout cas, le génie des langues apparaît dans chaque
                          texte.

                          LE LIONNAIS : La densité.

                          SCHMIDT : La gnomè de la langue hébraïque.

                          QUENEAU : Nous avons donc eu raison de ne
                          rien faire.

                          LESCURE : En somme, ce que Latis a fait, c’est de la prospection.

                          QUEVAL : Bravo.

                          LE LIONNAIS : Sans doute faut-il étendre
                          notre action. Ce traitement de la Bible nous
                          permet dès à présent d’envisager une généralité de la méthode lescurienne. Nous pourrions
                          poser : S = f(n).

                          L’on pourrait songer à des additions de
                          textes, ou à des multiplications. Par
                          exemple : additionner la Bible à la Famille Fenouillard.

                          LA SERVEUSE : Les poulets, c’est
                          pour qui ?

                          QUEVAL : Mangeons.

                          LESCURE : Mangeons.

                          QUENEAU : Moi, je n’ai aucune
                          communication à faire.

                          QUEVAL : Eh bien, mangeons tous.

                          LATIS : J’ai quelques remarques à vous
                          présenter sur l’importance de la diérèse dans
                          les tragédies de Racine. Les premiers vers de ces tragédies contiennent souvent des allusions singulières. En voici quelques
                          exemples :

                          • BERENICE :Arrêtons un moment ;
                            la pompe de ces lieux

                          Je le vois bien, Arsace, est nouvelle
                          à vos yeux.

                          Souvent, ce cabinet, superbe et solitaire,

                          Des secrets de Titus est le
                          dépositaire.

                          C’est vous-même, Seigneur ? Quel important besoin

                          Vous a fait devancer l’aurore de si loin ?

                          Je vous engage à chercher dans les autres pièces, et je vous promets des découvertes.

                          LATIS : Pour étoffer notre numéro, il m’a
                          semblé que l’on pourrait y joindre une sorte de compte-rendu général des séances.
                          Naturellement, il faudrait doser l’ensemble.

                          QUEVAL : Doser ou d’oser…

                          LATIS : Qu’il me soit permis de faire une
                          suggestion au TS Raymond Queneau. Il
                          manque au Dossier la Littérature Potentielle sous son
                          jour le plus potentiel.

                          QUEVAL : Ouais.

                          LATIS : Le Satrape pourrait indiquer des voies de développement. En quelque sorte, l’idée
                          platonicienne de la LiPo est infléchie. Le
                          Satrape doit la rétablir dans sa
                          Postface.

                          SCHMIDT : On aura une communication de Jean Nocher.

                          ARNAUD : Jusqu’ici, il s’agit plutôt
                          d’une Littérature
                          Prépotentienne
                          .

                          QUENEAU : Nous sommes les Képler des futurs Newton.

                          LATIS : Et l’illustration ? Ne pourrait-on avoir quelques
                          photographies ? Nous aurons celle du TS
                          Queneau décorant le Rt Le Lionnais. Nous aurons

                          aussi la machine de Swift. Peut-être
                          un portrait de Galois…A propos de
                          Galois, j’ai relu l’inventaire de
                          Bens. Et je crois que l’émotion vient,
                          non du texte lui-même, mais de ce que l’on sait de la vie de Galois qui est, évidemment, très
                          émouvante.

                          QUEVAL : Je suis en train de relire
                          le-plus-grand-romancier-français-vivant, je veux dire : Simenon. Lorsque Simenon écrit : “Il s’assit en face d’un
                          homme qui lui tournait le dos”, qu’est-ce qu’il veut dire ? C’est du pastiche involontaire, dira-t-on. Oui,
                          peut-être. Il me semble que nous pourrions établir un petit inventaire des choses à ne plus
                          utiliser, des perspectives où nous n’avons
                          pas à nous engager. Le populisme, c’est comme
                          les cuisinières.

                          LE LIONNAIS : Quelle imagination.

                          QUEVAL : Non, c’est un exemple.

                          LESCURE : La cuisinière, quelle
                          cuisinière ?

                          QUEVAL : La cuisinière d’autrefois, avec
                          les belles casseroles.

                          LESCURE : La cuisinière à charbon ?

                          LA SERVEUSE : Il y a quelque
                          chose qui ne va pas ?

                          (Personne ne lui répond, sauf Duchateau
                          qui, d’un signe, lui indique que tout va bien.)

                          QUEVAL : Quand le père Lamartine écrivait : “Objets inanimés”,
                          etc.…, ça correspondait à un monde où il y avait des cuisinières. Maintenant, c’est fini.
                          Ces voies-là nous sont fermées.

                          LE LIONNAIS : l’antepotentialisme

                          LATIS : Valéry suggérait un recueil des débuts de
                          romans.

                          QUENEAU : Il y a aussi “L’Imitation de soi chez
                          Corneille
                          ”, de François
                          Rostand
                          .

                          LATIS : On ne peut reprocher aux gens de
                          continuer à parler leur langage.

                          LE LIONNAIS : Bien sûr, mais il
                          conviendrait d’établir une distinction entre parler le même langage et dire la même chose.

                          LATIS : Une dernière remarque concernant
                          la fameuse définition de la philosophie. La
                          définition donnée par le dataire Bens
                          n’est pas mauvaise, mais ce n’est pas celle que j’avais donnée. D’ailleurs, je n’ai jamais
                          parlé de mauvaise ou de bonne définition de la philosophie

                          ARNAUD : Et ce n’était pas la définition
                          de Latis, mais une citation…

                          LATIS : … d’un vieux latiniste nommé
                          François.

                          LATIS : Autre rectification : la méthode Piscator (le décalage des répliques) est de
                          Madame Lei-Piscator,
                          veuve de Piscator, devenue Lei on ne sait à la suite de quelles
                          circonstances.

                          LE LIONNAIS : On a supprimé Shakespeare ? C’est dommage, parce que si
                          Shakespeare, c’est que je
                          meurs ; et si je meurs, je veux commentaire…

                          SCHMIDT : Je voudrais vous parler de
                          deux textes de Ludwig Harig, qui
                          peuvent présenter quelques caractères expérimentaux, sinon potentiels.
                          Le premier part de quelques phrases traitées comme des symptômes primitifs. Ces phrases forment
                          le prétexte d’associations libres
                          qui circonscrivent des thèmes
                          inconscients
                          . Le sujet en est : la Côte d’Azur. Le second texte s’efforce
                          d’appliquer aux mots les règles de la fugue.
                          Cette sorte de “Fugue de la Parole” est
                          musicalement exacte. Ces méthodes sont donc
                          intéressantes. Mais les résultats sont un peu décevants, parce qu’ils paraissent ressortir à
                          un expressionnisme assez dépassé
                          aujourd’hui.

                          LE LIONNAIS : Ce que vient de dire
                          Albert-Marie Schmidt me semble appeler
                          quelques remarques. D’abord, il faudrait pouvoir faire la différence entre les procédés et
                          la poésie qui peut (ou non) en résulter. Au fond, notre rôle est d’inventer des procédés et
                          de les lancer pour que la poésie s’en empare.

                          SCHMIDT : C’est dangereux.

                          LE LIONNAIS : Celui qui a lancé le
                          sonnet…

                          QUENEAU : C’était un poète !

                          LE LIONNAIS : Peut-être.

                          SCHMIDT : Nous revenons à l’éternelle
                          question de la subjectivité.

                          ARNAUD : Notre jugement doit porter sur
                          les procédés.

                          LE LIONNAIS : … Ensuite, il faudrait
                          pouvoir distinguer mathématiques et calcul. Les procédés booléens relèvent des
                          mathématiques ; la méthode
                          lescurienne
                          , du calcul.

                          LESCURE : Si les mathématiques ne sont
                          pas le calcul, le calcul est dans les mathématiques !

                          LATIS : Il vaut mieux que le calcul soit
                          les mathématiques que dans l’airain.

                          QUENEAU (à Lescure) : Note.

                          LE LIONNAIS : Quand on parle de fugue,
                          il faut prendre des notes. Une autre généralisation de la méthode lescurienne pourrait apparaître
                          à l’occasion d’une étude des renversements réels en littérature.

                          (Quelqu’un signale que le dataire Bens
                          s’intéresse au problème de la fugue.)

                          LE LIONNAIS : L’intérêt de la communication d’Albert-Marie Schmidt me semble résider en ceci :
                          elle devrait nous amener à ouvrir dans l’OuLiPo une…

                          LATIS : … intermission …

                          LE LIONNAIS : … tendant à considérer les
                          travaux internationaux de LiPo.

                          QUENEAU : Ah voui. Le groupe allemand.

                          SCHMIDT : Il y a aussi un groupe belge.

                          LATIS : Ah, les Belges ! Alors !

                          LE LIONNAIS : Pas de nationalisme.

                          LATIS : Ce n’est pas du nationalisme,
                          c’est du racisme. Et je m’en lumumbise.

                          ARNAUD : Sur les deux joues.

                          LE LIONNAIS : Un saut trouve toujours un
                          plus sot qui l’admire.

                          QUENEAU : Note. Je propose que l’on
                          demande aux éléments éloignés de nous signaler, suffisamment à temps, leurs passages à
                          Paris. Par exemple : Guiraud, à Groningue ; Quemada, à Besançon ; Bense, à quelque part. Il
                          y a sans doute d’autres noms à citer et à agréger.

                          ARNAUD : J’aimerais vous signaler le
                          projet de création d’un Institut International
                          du Néologisme
                          , dont Queneau
                          sera sans doute président d’honneur. Est-ce qu’un tel Institut vous semble piétiner les
                          platebandes OuLiPiennes ? (Silence. Il se répond :) Non.

                          LE LIONNAIS : La création des mots ne
                          devrait pas nous être étrangère.

                          ARNAUD : Le néobelge

                          LATIS : A mort.

                          ARNAUD : Ferdière ?

                          LATIS : Quelle salade.

                          (La serveuse surgit.)

                          ARNAUD : Pas de jugement de valeur.

                          (La serveuse disparaît, perplexe.)

                          ARNAUD : Oui ou non, les néolangages sont-ils de la compétence de
                          l’OuLiPo ?

                          LATIS : Ne sont-ils pas au-dessus des
                          forces des membres qui…

                          QUENEAU : Les travaux de néolangage sont d’ordre lexicologique, tandis
                          que nos travaux sont syntaxtiques, rhétoriques et poétiques.

                          QUEVAL : Mon petit grain, c’est potentiel : un ptit sédiment.

                          QUENEAU : C’est un objet.

                          LE LIONNAIS : Pas d’avis. Un objet,
                          voui. Mais la littérature est vocabulaire et syntaxe. Nous pouvons donner des procédés de
                          néologisation. On accepte, quitte à
                          préciser par la suite qu’on ne s’en occupe pas. Les procédés de néologisation sont de notre domaine. Le néologisme en soi, non. Le mot créé est un objet
                          qui s’épuise dans sa consommation. Nous ne devons pas nous limiter dans notre action. La
                          postérité est là qui nous attend, Messieurs, ne l’oublions pas.

                          LESCURE : Cherchons donc le procédé à
                          faire des procédés…

                          LE LIONNAIS : A l’ordre du jour !

                          La prochaine séance aura lieu :

                          MARDI 19 DECEMBRE A 12 H 15

                          (au lieu de 12 h 30, pour bien marquer le désir qu’a l’OuLiPo d’accroître son effort.
                          Certains avaient proposé 12 h ; des provocateurs, sûrement.)

                          Tout pouvoir est donné à Latis pour
                          bricoler le Dossier OuLiPo.

                          Vœux à Bens, grippé. (Merci. J.B.)

                          Par intérim :

                          J.L. et J.D.

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