Compte-rendu de la réunion du 28 novembre 1964

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OUVROIR DE LITTERATURE POTENTIELLE

Circulaire n° 55

COMPTE-RENDU DE LA REUNION DU 28 NOVEMBRE 1964

PRESENTS :N. Arnaud, J. Lescure, F. Le Lionnais, Latis, R. Queneau, J. Duchateau.

PRESIDENTS : P. BRAFFORT.

LE LIONNAIS : J’ai une idée qui serait intéressante pour feu l’OuPeinPo : soit 15 éléments—chaque élément étant une forme simple ; il faudrait que chaque élément puisse occuper l’une des 15 « places » et que dans chaque cas l’on obtienne un tableau ayant un sens. Le sens est indispensable à mon avis, et ça devient d’autant plus intéressant que les tableaux obtenus se révèlent différents : par exemple la réception de… à l’Académie Française devient la Forêt de Bondy.

P. BRAFFORT : Jean Margat avait fait pour La Joconde (le film réalisé par H. Gruel) un travail s’inspirant de cette idée.

LESCURE : J’avais parlé, je crois, déjà d’une suggestion faire à des peintres travaillant sur des cartons de tapisserie. Puisque les laines sont numérotées suivant leur couleur, ils auraient dû, au lieu de combiner lesdites couleurs, opérer seulement sur les références : B2, J4, V6, R8, etc. par exemple.

LE LIONNAIS : Brueghel numérotait ses couleurs et « jouait » avec les numéros.

P. BRAFFORT : Nous avons donc de quoi relancer la peinpo

QUENEAU : La peinpo voudrait voler de ses propres ailes avant d’en avoir.

ARNAUD : Il faudrait les convaincre que leurs « idées » sont inopportunes et les soumettre à nos vues ; ou alors choisir de mauvais peintres qui ne seront que des exécutants.

QUENEAU : Oupeinpo sur la planche.

LE LIONNAIS : Il y a quand même Berge et Bucaille.

QUENEAU (rêveur) : Rien que des B.

LE LIONNAIS : L’OuLiPo c’était Queval et Queneau

QUENEAU : Ah !

ARNAUD : Il y a aussi Baj.

BRAFFORT : Buffet, Bicasso, Banessier.

LE LIONNAIS : Les mathématiques et la peinture, il faut faire attention, se méfier, le nombre d’or, vous voyez ce que je veux dire. Bref, nous devons contrôler sévèrement l’Oupeinpo.

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LESCURE : A propos de l’irrationalité des sonnets de Bens, je me demande si l’irrationnel de pi ne commence pas avec les points. Donc 3,1415 qui a servi à Bens pour ses sonnets, ne peut donner des sonnets irrationnels. Il faut réintroduire l’irrationalité.

QUENEAU : Ou peut-être modifier son contrat chez Gallimard ?

(Discussion serrée au cours de laquelle il est fait état d’une « lettre » de G. Gallimard à Bens.)

DUCHATEAU : J’ai lu les carnets de James dont Queneau avait parlé, et je voudrais revenir sur la discussion de la précédente séance concernant le problème des structures, et de la naïveté à leur égard.

Il est certain que James examine soigneusement les possibilités d’une situation donnée. Et qu’il le fait systématiquement… Par exemple lorsque Paul Bourget lui raconte l’histoire de cette jeune fille qui s’est suicidée parce que sa mère faisait l’amour dans la pièce à côté, James dit que, pour qu’il puisse se servir de cette histoire, il est obligé de songer à l’Amérique et aux Américains. Les différentes versions de cette histoire, il les examine à la lumière de ces contraintes, du type psycho-sociologique.

BRAFFORT : Ce sont aussi des contraintes.

DUCHATEAU : Ne sont-elles pas dangereuses dans la mesure où elles restent vagues ?

LE LIONNAIS : C’est le problème des ensembles « mal » définis.

DUCHATEAU : Est-ce qu’il n’aurait pas été plus intéressant que James laisse de côté ces contraintes-là, et se livre à une étude, disons complète, de toutes, y compris les invraisemblables possibilités de l’histoire, en n’utilisant que les éléments contenus dans l’anecdote ?

BRAFFORT : A partir du moment où vous passez des mots aux sentiments, vous quittez le local, si j’ose dire, pour aborder le global.

QUENEAU : Oui, l’OuLiPo affronte-là le problème du continu et du discontinu.

DUCHATEAU : Un autre exemple. James donne des listes de noms propres. J’ai cherché si ces noms étaient le résultat de procédé de transformation. Je n’ai rien trouvé.

QUENEAU : Moi non plus.

DUCHATEAU : Donc on est dans l’intuition. Une intuition sollicitée, explorée, James ne se contente pas de ces petites histoires personnelles, il cherche, mais est-ce qu’il cherche avec méthode ? Est-ce que surtout le psychologisme ne fausse pas sa recherche ? Quand il dit je vais écrire un livre de X mots, en tant de chapitres, il précise : parce que je voudrais créer telle et telle impressions.

LE LIONNAIS : La psychologie peut aussi fournir des contraintes. Les Presses de la Cité fournissaient à Bruce des contraintes très strictes après étude du marché. Les lecteurs veulent le premier coup de revolver à telle page, le premier cadavre au plus tard à telle autre, etc…

QUENEAU : A propos de « policiers », il y a les contraintes du genre par Van-Dine.

BRAFFORT : On devrait faire un répertoire de tous les livres qui nous fournissent des listes de contraintes.

Il est question de la S.F Italienne, des contraintes romanesques données par Godsi. Latis rappelle que Georges Polti rendit visite à Jany sur son lit de mort et lui demanda : « Alors, ça va ? »

Puis Lescure évoque nos engagements avec Moutton et fait adopter le principe de l’examen du sommaire du premier cahier, lors de la prochaine séance, cahier consacré à la rétrospective de l’OuLiPo.

Le S.P.

J.D.

Texte

OUVROIR DE LITTERATURE POTENTIELLE

Circulaire n° 55

COMPTE-RENDU DE LA REUNION DU 28 NOVEMBRE 1964

PRESENTS :N. Arnaud, J. Lescure, F. Le Lionnais, Latis, R. Queneau, J. Duchateau.

PRESIDENTS : P. BRAFFORT.

LE LIONNAIS : J’ai une idée qui serait intéressante pour feu l’OuPeinPo : soit 15 éléments—chaque élément étant une forme simple ; il faudrait que chaque élément puisse occuper l’une des 15 « places » et que dans chaque cas l’on obtienne un tableau ayant un sens. Le sens est indispensable à mon avis, et ça devient d’autant plus intéressant que les tableaux obtenus se révèlent différents : par exemple la réception de… à l’Académie Française devient la Forêt de Bondy.

P. BRAFFORT : Jean Margat avait fait pour La Joconde (le film réalisé par H. Gruel) un travail s’inspirant de cette idée.

LESCURE : J’avais parlé, je crois, déjà d’une suggestion faire à des peintres travaillant sur des cartons de tapisserie. Puisque les laines sont numérotées suivant leur couleur, ils auraient dû, au lieu de combiner lesdites couleurs, opérer seulement sur les références : B2, J4, V6, R8, etc. par exemple.

LE LIONNAIS : Brueghel numérotait ses couleurs et « jouait » avec les numéros.

P. BRAFFORT : Nous avons donc de quoi relancer la peinpo

QUENEAU : La peinpo voudrait voler de ses propres ailes avant d’en avoir.

ARNAUD : Il faudrait les convaincre que leurs « idées » sont inopportunes et les soumettre à nos vues ; ou alors choisir de mauvais peintres qui ne seront que des exécutants.

QUENEAU : Oupeinpo sur la planche.

LE LIONNAIS : Il y a quand même Berge et Bucaille.

QUENEAU (rêveur) : Rien que des B.

LE LIONNAIS : L’OuLiPo c’était Queval et Queneau

QUENEAU : Ah !

ARNAUD : Il y a aussi Baj.

BRAFFORT : Buffet, Bicasso, Banessier.

LE LIONNAIS : Les mathématiques et la peinture, il faut faire attention, se méfier, le nombre d’or, vous voyez ce que je veux dire. Bref, nous devons contrôler sévèrement l’Oupeinpo.

LESCURE : A propos de l’irrationalité des sonnets de Bens, je me demande si l’irrationnel de pi ne commence pas avec les points. Donc 3,1415 qui a servi à Bens pour ses sonnets, ne peut donner des sonnets irrationnels. Il faut réintroduire l’irrationalité.

QUENEAU : Ou peut-être modifier son contrat chez Gallimard ?

(Discussion serrée au cours de laquelle il est fait état d’une « lettre » de G. Gallimard à Bens.)

DUCHATEAU : J’ai lu les carnets de James dont Queneau avait parlé, et je voudrais revenir sur la discussion de la précédente séance concernant le problème des structures, et de la naïveté à leur égard.

Il est certain que James examine soigneusement les possibilités d’une situation donnée. Et qu’il le fait systématiquement… Par exemple lorsque Paul Bourget lui raconte l’histoire de cette jeune fille qui s’est suicidée parce que sa mère faisait l’amour dans la pièce à côté, James dit que, pour qu’il puisse se servir de cette histoire, il est obligé de songer à l’Amérique et aux Américains. Les différentes versions de cette histoire, il les examine à la lumière de ces contraintes, du type psycho-sociologique.

BRAFFORT : Ce sont aussi des contraintes.

DUCHATEAU : Ne sont-elles pas dangereuses dans la mesure où elles restent vagues ?

LE LIONNAIS : C’est le problème des ensembles « mal » définis.

DUCHATEAU : Est-ce qu’il n’aurait pas été plus intéressant que James laisse de côté ces contraintes-là, et se livre à une étude, disons complète, de toutes, y compris les invraisemblables possibilités de l’histoire, en n’utilisant que les éléments contenus dans l’anecdote ?

BRAFFORT : A partir du moment où vous passez des mots aux sentiments, vous quittez le local, si j’ose dire, pour aborder le global.

QUENEAU : Oui, l’OuLiPo affronte-là le problème du continu et du discontinu.

DUCHATEAU : Un autre exemple. James donne des listes de noms propres. J’ai cherché si ces noms étaient le résultat de procédé de transformation. Je n’ai rien trouvé.

QUENEAU : Moi non plus.

DUCHATEAU : Donc on est dans l’intuition. Une intuition sollicitée, explorée, James ne se contente pas de ces petites histoires personnelles, il cherche, mais est-ce qu’il cherche avec méthode ? Est-ce que surtout le psychologisme ne fausse pas sa recherche ? Quand il dit je vais écrire un livre de X mots, en tant de chapitres, il précise : parce que je voudrais créer telle et telle impressions.

LE LIONNAIS : La psychologie peut aussi fournir des contraintes. Les Presses de la Cité fournissaient à Bruce des contraintes très strictes après étude du marché. Les lecteurs veulent le premier coup de revolver à telle page, le premier cadavre au plus tard à telle autre, etc…

QUENEAU : A propos de « policiers », il y a les contraintes du genre par Van-Dine.

BRAFFORT : On devrait faire un répertoire de tous les livres qui nous fournissent des listes de contraintes.

Il est question de la S.F Italienne, des contraintes romanesques données par Godsi. Latis rappelle que Georges Polti rendit visite à Jany sur son lit de mort et lui demanda : « Alors, ça va ? »

Puis Lescure évoque nos engagements avec Moutton et fait adopter le principe de l’examen du sommaire du premier cahier, lors de la prochaine séance, cahier consacré à la rétrospective de l’OuLiPo.

Le S.P.

J.D.

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