Compte-rendu de la réunion du 13 juin 1963

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OUVROIR DE
LITTERATURE
POTENTIELLE

Circulaire n° 34

COMPTE-RENDU DE LA REUNION DU 13 JUIN 1963

Le déjeuner commence tard, les membres de l’OuLiPo (à l’exception du Régent Noël Arnaud, préposé à la réception des invités) ayant préalablement assisté, au tableau noir du Service de la Recherche de la R.T.F., à une communication du T.S. Queneau portant sur CALCUL MATRICIEL à LANGAGE (cf. Annexe  )

PRÉSENTS : Queneau, Berge, Arnaud, Queval, Le Lionnais, Lescure, Bens, Duchateau, Albert-Marie Schmidt.

INVITÉS : Michel Philippot et François Dufrêne.

PRÉSIDENT : LE LIONNAIS

Propos hauts : remerciements des un aux autres et vice-versa.

En provenance de Noël Arnaud, une pièce en un acte (courte) de Unglik-Georges, intitulé Anniversaire. Lequel Unglik présente également la propriété d’éditer la revue Les Crampes.

Le Président décide de mettre à l’ordre du jour la décade de Cerisy, mais de commencer la séance par le récit du voyage à Bruxelles. Le notant estime alors que ceux qui l’ont fait la raconteront mieux, le voyage, que ce qu’il le noterait, lui, le voyage. Et il n’en prend plus, des notes, sauf sur les points dits « de contestation » que voici :

  1. Mamzelleu Ronsse a beaucoup plu à Meussieu Bens. L’a beaucoup plu.
    (distique sans redondance quoi qu’il y paraisse, la première partie de l’information concernant les sentiments esthétiques du S.P., la seconde, la météreologie).
  2. Une voix, baudelairienne, peut-être :
    « Le jeune géante au gros »
  3. Des voix : « Cecidit—il est clair que—clairement—etc… »
  4. Le mêmes (mode protestataire) : « Nous faire travailler, ha-ha !
    (et : « ah mais ! ») Non ! Nous les faire, eux, du même ! Ils mettront. »
    Une interruption, toujours se croyant baudelairienne, à propos d’une histoire d’étron à suivre.
    « En machine des sonnets. »
  5. On apprend que la machine ne sait pas lire (Consternation)
  6. Des précisions sont apportées, aux termes desquelles on découvre que si, bien sûr, le machine sait lire (soulagement). Mais qu’elle est très réac sur l’orto et ne tolère pas la réformée.

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  1. Les sonnets nous seront donnés, chaque mot y étant remplacé par sa nature.
  2. La même voix, baudelairienne (qu’elle croit) et obstinée (qu’elle est) : « …est un temple. » (Pouah)
  3. (… mot y étant remplacé par sa nature…) plus la fréquence des mots, pour l’usage singulier (mais cependant respectable) de Duchateau.
  4. QUI, alors, réclame (n’est-ce pas Queval ?) les analyses syntaxiques des SONNETS ( ! ) du XIXe siècle ?

QUENEAU : « Ils » cherchent à inculquer des règles de prononciation du français à des machines. Mais les problèmes phonétiques sont les plus épineux qui scient. Il serait peut-être intéressant (ces problèmes résolus) de faire secréter à la machine des antiphonèmes. Remarquons que le problème des antiphonèmes exalte beaucoup de monde, ce qui prouve que nous ne sommes pas tombés loin. (Mais de quoi ? Justement : type de remarque réservée aux initiés. J’appelle ça : le coup des alchimistes. Ou, pour être viginticente-séculien : le coup de Fulcanelli. Note du S.P.)

ARNAUD (dominant son exaltation personnelle) : Kir, est-ce le contraire de cor ? (ou de corps ? le sténographe—de sthénes : lourd—n’a pas sais la différence).

QUENEAU : Les aphonèmes sont (définition :) « ceux que Duchateau ne prononce pas ».

Duchateau, plein de bonne volonté, en réalise immédiatement quelques dizaines, des plus variés, dans les trois quarts d’heure qui suivent. De temps en temps, l’un d’eux, particulièrement réussi, lui vaut quelques murmures flatteurs, ou une ovation générale, ou plus modestement, le clin d’œil complice et compréhensif de Queval.

Le sténographe aimerait faire remarquer que, de la première partie de ce colloque, il ressort que le voyage à Bruxelles a permis aux pèlerins de l’OuLiPo de recueillir un nombre considérable d’histoires wallonnes anti-flamingantes, ainsi que des sentiments qui flatteraient bassement ceux, racistes et anti-belges (de notoriété privée) du Secrétaire-Particulier Générale de Sa Magnificence, dont l’absence se fait sentir par une quasi généralisation d’opinions baudelairiennes sur ce point.

Sans transition autre qu’un changement de plat :

BERGE : J’aimerais signaler que M. Charles Mauron travaille actuellement à un répertoriage de certains mots chez Mallarmé et Racine. Ce répertoriage doit servir des fins psychologiques.

On décide que le sieur Bens prendra contact avec M. Mauron. On croit qualification particulière de la part du S.P.

Ceci étant décidé, en l’oublie immédiatement—et, singulièrement, de le lui signaler.

François Dufrêne rappelle qu’il existe un Index du Vocabulaire des tragédies de Corneille, établi par Pierre Guiraud et publié chez Klincksieck, rue de Lille.

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    Quelques voix jettent aussitôt : « Un index de Phèdre, de Valéry, de Mallarmé ». Le notant ramasse et offre à la ronde (sans succès).

    C’est alors que Lescure croit spirituel de faire remarquer que :

    X ø = ¢

    ce dont il ignore (avoue-t-il) la signification.

    Queval intervient alors, avec son bon cœur habituel et nousterrien (son instinct de nousterre-neuve) pour proposer à l’attention générale, au moment où les menaces de départ de notre bien-aimé Secrétaire-Provisoire-Définitif se font irrévocables, un problème épineux :

    celui de la retraite dudit, et de la mutualité de l’on en faveur dudit.

    LE PRESIDENT : Cette suggestion émouvante, bonne et pertinente est approuvée.

    LE LIONNAIS : Mais z’alors, il faudra qu’il bosse encoreu plus

    Car nous sommes uneu tunique de Nessus.

    QUEVAL : Autre point : Cette année, est une année Olympiade pas OuLiPiades ?

    ARNAUD : A Iokotu !

    S’ensuivant quelques considérations géographiques qui prennet, grosse mode, cette absence de forme :

    BERGE : Je serai à Tokyo en septembre.

    (Veut-il dire qu’il ira à Tohoku, banlieue de Tokyo ?)

    ARNAUD : A Nières…

    (Allusion, certes, à la banlieue parisienne, mais incompréhensible au-delà de ce sens à peine littéral.)

    QUENEAU : Nous avons relevé sur la route de Bruxelles un village qui s’appelle ETROEUNGT—mais ça se prononce ETRON ! C’est juste avant Maubeuge.

    ARNAUD : Le clair de lune est en vue…

    (On ignore, en réalité, qui a dit ça. Mais si le sténographe pense au Régent Arnaud, c’est également à cause de la voix obstinément baudelairienne des hors-d’œuvre. Une fois de plus, les initiés comprendront.)

    Rêverie générale sur : SON – SONS – SONT – SOMPT, et sur ce que deviendrait le mot DEMOCRATIE traité selon le génie propre de chaque pays : DES MOTS CRASSIS – DES MOQUES RASSIES – DEME O CRASSE HI ! – DES MOCKS RAS, SI ! – DES MAUX CRAT SCIE…

    LE LIONNAIS : deux questions : a) l’esclavage oulipien. Nous avons déjà un bon esclave en la personne de Le Clech’. (Mouvements divers d’approbation et d’approbations diverses. Oui. Très bon. Euh ? Quèsquifé ? etc…) Je propose d’en chercher d’autres. Les machines étant ceci, et n’étant pas cela (je ne sais pas si je me fais bien comprendre), l’esclave humain est

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      toujours souhaitable. Je pense notamment à un esclave adjoint au secrétaire. Car, maintenant que notre bien-aimé S.P. nous quitte, deux personnes sont forcément nécessaires pour la remplacer. J’en vois la preuve dans la pagaille immense où nous nous trouvons depuis son départ.

      LESCURE (qui note. Enfin : qui fait un truc qu’il appelle « noter ». Et qui prétend qu’il ne peut pas parler en même temps. (Ce qui est vrai : les « notes », ou prétendues telles, en témoignent.) Lapidaire :) Une.

      LE LIONNAIS : Quoi, une ?

      LESCURE : Je dis : UNE esclave.

      LE LIONNAIS : Qui ?

      LESCURE : E.E.

      Brouhaha (pour ne pas dire tollé) générale. A l’intérieur d’iceluy, on discerne :

      QUEVAL : Je connais une gare qui est un embranchement (un embranchement !) et qui s’appelle Mézidon.

      QUENEAU : Jusqu’à Nanterre, soyons sages,

      Mais à La Garenne, Bezons !

      Le Brouhaha s’apaise.

      LE LIONNAIS : Il faut, Messieurs, il faut créer le Prix Nobel de l’OuLiPo. On l’appellerait, par exemple : Prix Noubelle des OuLiPiades. Chez Aline Gagnaire, j’ai vu (ou conçu) un vaste projet. Elle (A.G.) m’a montré le petit truc suivant…

      QUENEAU (prenant le relais d’un geste à la fois élégant et efficace) : J’ai vu un livre « très joli ». Et mystérieux. C’est un livre de prestidigitation du XVIIIe siècle. Mais je ne sais pas comment c’est fait. C’est blanc. De ça, je suis sûr : c’est blanc. On l’ouvre, il y a des images. On l’ouvre encore, il y a d’autres images, etc… Donc : c’est un, c’est autre, et c’est blanc.

      (Le sténographe, écœuré, cesse de noter : car si le Trt Satrape ne sait pas comment c’est fait, qu’est-ce qu’il va noter, le sténographe, sur ce dont auquel c’est fait, vous pouvez le lui dire, vous ? Alors…)

      LE LIONNAIS (pas démonté du tout) : Il faut faire des poèmes découpables en x poèmes. Si vous voulez : des poèmes unilatères.

      UNE VOIX (non identifiable) : A quoi ?

      PLUSIEURS VOIX : Très bien. Après vous, je vous en prie. Excellente idée. Encore un peu de porte. Et votre chère fille ? Tant mieux, tant mieux. Et le petit Celin, fait-il toujours bien du bruit avec son tambour ? Ah, cela ne nous rajeunit pas, non, non. Hé bien, Messieurs, hé bien. Oui-oui, Monsieur le Président. C’est entendu. Vous voyez bien que nous sommes tous d’accord. C’est ça, nous en reparlerons. A bientôt, n’est-ce pas ? Téléphonez-moi, un de ces soirs. Au revoir-au revoir. Clic-clac, merci Kodak.

      LE LIONNAIS (toujours pas démonté) . J’ai une autre proposition. Il s’agit de confier à confier à Dufrêne la réalisation d’un hymne OuLiPien.

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        UNE VOIX : C’est déjà fait.

        LE LIONNAIS (de moins en moins démonté) : Justement, il doit en faire un autre.

        LA VOIX (saisie par cette évidence) : !

        LE LIONNAIS : Nous en confierions la musique à Philipot.

        UNE VOIX : De l’OuLiPo.

        UNE AUTRE : Fou-Li-Po.

        Epuisement général. Quelques têtes tombent, harassées, sur la nappe. On sent la nécessité d’un entracte, que le Président accorde généreusement. Pendant l’entracte, François Dufrêne évoque quelques hurlements des mieux venus.

        UNE VOIX (mais est-ce bien la même ???) : Il faut établir une grammaire et un vocabulaire du hurlement.

        François Dufrêne intervient alors pour défendre un point de vue sans doute romantique, celui de l’Ultra-Lettrisme. Premier point : cet Ultra-Lettrisme diffère de celui d’Isou en ce que les hurlements ne peuvent être notés qu’a posteriori. Ils doivent, d’abord, être éructés. Aucune notation préalable ne pourrait les noter avec une précision suffisante. Mais, a posteriori, leur notation est, évidemment sans objet, puisqu’elle n’avait d’autre utilité que de les reproduire : c’est précisément ce que l’enregistrement permet avec beaucoup plus de précision. L’imprimerie est donc dépassée par le disque ; la notation écrite n’a plus d’intérêt.

        LE LIONNAIS (lyrique) : La liberté ; toute liberté ; toute la liberté. Un poème peut être conçu comme complètement libre.

        (On voit à quel niveau, proprement hymnique, l’esprit et les sens ici se sont haussés. (Ho-ho : lessensisissessontaussés !) Mais Le Lionnais, perfide—ou prévoyant :

        LE LIONNAIS : Ou complètement automatique.

        (On en convient.)

        LE LIONNAIS : Ou intermédiaire.

        (On ne peut pas ne pas en également convenir.)

        LE LIONNAIS : La liberté se greffe sur du pas libre.

        UNE VOIX (écœurée). Il est payé par les P et T !

        (On en, cependant, convient toujours, machinalement et sans entendre d’ailleurs, et on en convient du même coup de convenir de ce qui va suivre car le Régent, laissant glisser la locomotive de son éloquence sur les rai) de la facilité, se met à parler comme un livre, ou comme un disque, ou les deux, ce qui plonge François Dufrêne dans une perplexité visible à l’œil nu.)

        QUEVAL : A propos, je dois vous faire part d’une intention qui est celle-ci : et c’est de vous l’envoyer.

        TOUS : Quoi ?

        QUEVAL : ETC

        QUENEAU : On accepte. Tout ce qui vient de Queval, nous l’acceptons. C’est même un honneur pour nous de l’accepter.

        (C’est un honneur, enfin pour moi, d’avoir intérimé (TRES BIEN, N.D.S.P.) le définitif S.P. et d’avoir en ses lieu et place enregistré tout ce qui précède.) Avec, donc, les amitiés auvergnates et dévouées de J.L.

        Texte

        OUVROIR DE
        LITTERATURE
        POTENTIELLE

        Circulaire n° 34

        COMPTE-RENDU DE LA REUNION DU 13 JUIN 1963

        Le déjeuner commence tard, les membres de l’OuLiPo (à l’exception du Régent Noël Arnaud, préposé à la réception des invités) ayant préalablement assisté, au tableau noir du Service de la Recherche de la R.T.F., à une communication du T.S. Queneau portant sur CALCUL MATRICIEL à LANGAGE (cf. Annexe  )

        PRÉSENTS : Queneau, Berge, Arnaud, Queval, Le Lionnais, Lescure, Bens, Duchateau, Albert-Marie Schmidt.

        INVITÉS : Michel Philippot et François Dufrêne.

        PRÉSIDENT : LE LIONNAIS

        Propos hauts : remerciements des un aux autres et vice-versa.

        En provenance de Noël Arnaud, une pièce en un acte (courte) de Unglik-Georges, intitulé Anniversaire. Lequel Unglik présente également la propriété d’éditer la revue Les Crampes.

        Le Président décide de mettre à l’ordre du jour la décade de Cerisy, mais de commencer la séance par le récit du voyage à Bruxelles. Le notant estime alors que ceux qui l’ont fait la raconteront mieux, le voyage, que ce qu’il le noterait, lui, le voyage. Et il n’en prend plus, des notes, sauf sur les points dits « de contestation » que voici :

        1. Mamzelleu Ronsse a beaucoup plu à Meussieu Bens. L’a beaucoup plu.
          (distique sans redondance quoi qu’il y paraisse, la première partie de l’information concernant les sentiments esthétiques du S.P., la seconde, la météreologie).
        2. Une voix, baudelairienne, peut-être :
          « Le jeune géante au gros »
        3. Des voix : « Cecidit—il est clair que—clairement—etc… »
        4. Le mêmes (mode protestataire) : « Nous faire travailler, ha-ha !
          (et : « ah mais ! ») Non ! Nous les faire, eux, du même ! Ils mettront. »
          Une interruption, toujours se croyant baudelairienne, à propos d’une histoire d’étron à suivre.
          « En machine des sonnets. »
        5. On apprend que la machine ne sait pas lire (Consternation)
        6. Des précisions sont apportées, aux termes desquelles on découvre que si, bien sûr, le machine sait lire (soulagement). Mais qu’elle est très réac sur l’orto et ne tolère pas la réformée.
        7. Les sonnets nous seront donnés, chaque mot y étant remplacé par sa nature.
        8. La même voix, baudelairienne (qu’elle croit) et obstinée (qu’elle est) : « …est un temple. » (Pouah)
        9. (… mot y étant remplacé par sa nature…) plus la fréquence des mots, pour l’usage singulier (mais cependant respectable) de Duchateau.
        10. QUI, alors, réclame (n’est-ce pas Queval ?) les analyses syntaxiques des SONNETS ( ! ) du XIXe siècle ?

        QUENEAU : « Ils » cherchent à inculquer des règles de prononciation du français à des machines. Mais les problèmes phonétiques sont les plus épineux qui scient. Il serait peut-être intéressant (ces problèmes résolus) de faire secréter à la machine des antiphonèmes. Remarquons que le problème des antiphonèmes exalte beaucoup de monde, ce qui prouve que nous ne sommes pas tombés loin. (Mais de quoi ? Justement : type de remarque réservée aux initiés. J’appelle ça : le coup des alchimistes. Ou, pour être viginticente-séculien : le coup de Fulcanelli. Note du S.P.)

        ARNAUD (dominant son exaltation personnelle) : Kir, est-ce le contraire de cor ? (ou de corps ? le sténographe—de sthénes : lourd—n’a pas sais la différence).

        QUENEAU : Les aphonèmes sont (définition :) « ceux que Duchateau ne prononce pas ».

        Duchateau, plein de bonne volonté, en réalise immédiatement quelques dizaines, des plus variés, dans les trois quarts d’heure qui suivent. De temps en temps, l’un d’eux, particulièrement réussi, lui vaut quelques murmures flatteurs, ou une ovation générale, ou plus modestement, le clin d’œil complice et compréhensif de Queval.

        Le sténographe aimerait faire remarquer que, de la première partie de ce colloque, il ressort que le voyage à Bruxelles a permis aux pèlerins de l’OuLiPo de recueillir un nombre considérable d’histoires wallonnes anti-flamingantes, ainsi que des sentiments qui flatteraient bassement ceux, racistes et anti-belges (de notoriété privée) du Secrétaire-Particulier Générale de Sa Magnificence, dont l’absence se fait sentir par une quasi généralisation d’opinions baudelairiennes sur ce point.

        Sans transition autre qu’un changement de plat :

        BERGE : J’aimerais signaler que M. Charles Mauron travaille actuellement à un répertoriage de certains mots chez Mallarmé et Racine. Ce répertoriage doit servir des fins psychologiques.

        On décide que le sieur Bens prendra contact avec M. Mauron. On croit qualification particulière de la part du S.P.

        Ceci étant décidé, en l’oublie immédiatement—et, singulièrement, de le lui signaler.

        François Dufrêne rappelle qu’il existe un Index du Vocabulaire des tragédies de Corneille, établi par Pierre Guiraud et publié chez Klincksieck, rue de Lille.

        Quelques voix jettent aussitôt : « Un index de Phèdre, de Valéry, de Mallarmé ». Le notant ramasse et offre à la ronde (sans succès).

        C’est alors que Lescure croit spirituel de faire remarquer que :

        X ø = ¢

        ce dont il ignore (avoue-t-il) la signification.

        Queval intervient alors, avec son bon cœur habituel et nousterrien (son instinct de nousterre-neuve) pour proposer à l’attention générale, au moment où les menaces de départ de notre bien-aimé Secrétaire-Provisoire-Définitif se font irrévocables, un problème épineux :

        celui de la retraite dudit, et de la mutualité de l’on en faveur dudit.

        LE PRESIDENT : Cette suggestion émouvante, bonne et pertinente est approuvée.

        LE LIONNAIS : Mais z’alors, il faudra qu’il bosse encoreu plus

        Car nous sommes uneu tunique de Nessus.

        QUEVAL : Autre point : Cette année, est une année Olympiade pas OuLiPiades ?

        ARNAUD : A Iokotu !

        S’ensuivant quelques considérations géographiques qui prennet, grosse mode, cette absence de forme :

        BERGE : Je serai à Tokyo en septembre.

        (Veut-il dire qu’il ira à Tohoku, banlieue de Tokyo ?)

        ARNAUD : A Nières…

        (Allusion, certes, à la banlieue parisienne, mais incompréhensible au-delà de ce sens à peine littéral.)

        QUENEAU : Nous avons relevé sur la route de Bruxelles un village qui s’appelle ETROEUNGT—mais ça se prononce ETRON ! C’est juste avant Maubeuge.

        ARNAUD : Le clair de lune est en vue…

        (On ignore, en réalité, qui a dit ça. Mais si le sténographe pense au Régent Arnaud, c’est également à cause de la voix obstinément baudelairienne des hors-d’œuvre. Une fois de plus, les initiés comprendront.)

        Rêverie générale sur : SON – SONS – SONT – SOMPT, et sur ce que deviendrait le mot DEMOCRATIE traité selon le génie propre de chaque pays : DES MOTS CRASSIS – DES MOQUES RASSIES – DEME O CRASSE HI ! – DES MOCKS RAS, SI ! – DES MAUX CRAT SCIE…

        LE LIONNAIS : deux questions : a) l’esclavage oulipien. Nous avons déjà un bon esclave en la personne de Le Clech’. (Mouvements divers d’approbation et d’approbations diverses. Oui. Très bon. Euh ? Quèsquifé ? etc…) Je propose d’en chercher d’autres. Les machines étant ceci, et n’étant pas cela (je ne sais pas si je me fais bien comprendre), l’esclave humain est

        toujours souhaitable. Je pense notamment à un esclave adjoint au secrétaire. Car, maintenant que notre bien-aimé S.P. nous quitte, deux personnes sont forcément nécessaires pour la remplacer. J’en vois la preuve dans la pagaille immense où nous nous trouvons depuis son départ.

        LESCURE (qui note. Enfin : qui fait un truc qu’il appelle « noter ». Et qui prétend qu’il ne peut pas parler en même temps. (Ce qui est vrai : les « notes », ou prétendues telles, en témoignent.) Lapidaire :) Une.

        LE LIONNAIS : Quoi, une ?

        LESCURE : Je dis : UNE esclave.

        LE LIONNAIS : Qui ?

        LESCURE : E.E.

        Brouhaha (pour ne pas dire tollé) générale. A l’intérieur d’iceluy, on discerne :

        QUEVAL : Je connais une gare qui est un embranchement (un embranchement !) et qui s’appelle Mézidon.

        QUENEAU : Jusqu’à Nanterre, soyons sages,

        Mais à La Garenne, Bezons !

        Le Brouhaha s’apaise.

        LE LIONNAIS : Il faut, Messieurs, il faut créer le Prix Nobel de l’OuLiPo. On l’appellerait, par exemple : Prix Noubelle des OuLiPiades. Chez Aline Gagnaire, j’ai vu (ou conçu) un vaste projet. Elle (A.G.) m’a montré le petit truc suivant…

        QUENEAU (prenant le relais d’un geste à la fois élégant et efficace) : J’ai vu un livre « très joli ». Et mystérieux. C’est un livre de prestidigitation du XVIIIe siècle. Mais je ne sais pas comment c’est fait. C’est blanc. De ça, je suis sûr : c’est blanc. On l’ouvre, il y a des images. On l’ouvre encore, il y a d’autres images, etc… Donc : c’est un, c’est autre, et c’est blanc.

        (Le sténographe, écœuré, cesse de noter : car si le Trt Satrape ne sait pas comment c’est fait, qu’est-ce qu’il va noter, le sténographe, sur ce dont auquel c’est fait, vous pouvez le lui dire, vous ? Alors…)

        LE LIONNAIS (pas démonté du tout) : Il faut faire des poèmes découpables en x poèmes. Si vous voulez : des poèmes unilatères.

        UNE VOIX (non identifiable) : A quoi ?

        PLUSIEURS VOIX : Très bien. Après vous, je vous en prie. Excellente idée. Encore un peu de porte. Et votre chère fille ? Tant mieux, tant mieux. Et le petit Celin, fait-il toujours bien du bruit avec son tambour ? Ah, cela ne nous rajeunit pas, non, non. Hé bien, Messieurs, hé bien. Oui-oui, Monsieur le Président. C’est entendu. Vous voyez bien que nous sommes tous d’accord. C’est ça, nous en reparlerons. A bientôt, n’est-ce pas ? Téléphonez-moi, un de ces soirs. Au revoir-au revoir. Clic-clac, merci Kodak.

        LE LIONNAIS (toujours pas démonté) . J’ai une autre proposition. Il s’agit de confier à confier à Dufrêne la réalisation d’un hymne OuLiPien.

        UNE VOIX : C’est déjà fait.

        LE LIONNAIS (de moins en moins démonté) : Justement, il doit en faire un autre.

        LA VOIX (saisie par cette évidence) : !

        LE LIONNAIS : Nous en confierions la musique à Philipot.

        UNE VOIX : De l’OuLiPo.

        UNE AUTRE : Fou-Li-Po.

        Epuisement général. Quelques têtes tombent, harassées, sur la nappe. On sent la nécessité d’un entracte, que le Président accorde généreusement. Pendant l’entracte, François Dufrêne évoque quelques hurlements des mieux venus.

        UNE VOIX (mais est-ce bien la même ???) : Il faut établir une grammaire et un vocabulaire du hurlement.

        François Dufrêne intervient alors pour défendre un point de vue sans doute romantique, celui de l’Ultra-Lettrisme. Premier point : cet Ultra-Lettrisme diffère de celui d’Isou en ce que les hurlements ne peuvent être notés qu’a posteriori. Ils doivent, d’abord, être éructés. Aucune notation préalable ne pourrait les noter avec une précision suffisante. Mais, a posteriori, leur notation est, évidemment sans objet, puisqu’elle n’avait d’autre utilité que de les reproduire : c’est précisément ce que l’enregistrement permet avec beaucoup plus de précision. L’imprimerie est donc dépassée par le disque ; la notation écrite n’a plus d’intérêt.

        LE LIONNAIS (lyrique) : La liberté ; toute liberté ; toute la liberté. Un poème peut être conçu comme complètement libre.

        (On voit à quel niveau, proprement hymnique, l’esprit et les sens ici se sont haussés. (Ho-ho : lessensisissessontaussés !) Mais Le Lionnais, perfide—ou prévoyant :

        LE LIONNAIS : Ou complètement automatique.

        (On en convient.)

        LE LIONNAIS : Ou intermédiaire.

        (On ne peut pas ne pas en également convenir.)

        LE LIONNAIS : La liberté se greffe sur du pas libre.

        UNE VOIX (écœurée). Il est payé par les P et T !

        (On en, cependant, convient toujours, machinalement et sans entendre d’ailleurs, et on en convient du même coup de convenir de ce qui va suivre car le Régent, laissant glisser la locomotive de son éloquence sur les rai) de la facilité, se met à parler comme un livre, ou comme un disque, ou les deux, ce qui plonge François Dufrêne dans une perplexité visible à l’œil nu.)

        QUEVAL : A propos, je dois vous faire part d’une intention qui est celle-ci : et c’est de vous l’envoyer.

        TOUS : Quoi ?

        QUEVAL : ETC

        QUENEAU : On accepte. Tout ce qui vient de Queval, nous l’acceptons. C’est même un honneur pour nous de l’accepter.

        (C’est un honneur, enfin pour moi, d’avoir intérimé (TRES BIEN, N.D.S.P.) le définitif S.P. et d’avoir en ses lieu et place enregistré tout ce qui précède.) Avec, donc, les amitiés auvergnates et dévouées de J.L.

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