Compte-rendu de la réunion du 14 décembre 1962

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OUVROIR DE
LITTERATURE
POTENTIELLE

Circulaire n° 28

REUNION DU VENDREDI 14 DECEMBRE 1962

(tenue chez Mme et M. Duchateau, à Paris)

PRESENTS : Latis, Arnaud, Duchateau, Schmidt, Lescure, Queneau, Le Lionnais, Queval, Bens.

INVITÉ : M. Henri-Pol BOUCHÉ

PRESIDENT : LATIS.

On cause des Entretiens (de R. Queneau) avec Georges Charbonnier

SCHMIDT : Ce n’est pas à partir d’Henri Monnier qu’on s’est occupé de la langue populaire, mais bien avant : les « Soties » de la fin du XVe siècle contenaient des éléments de langage notés dans la rue.

On cause, aussi, des Rhinogrades.

SCHMIDT : Du temps de Morgenstern on a effectivement vendu des poupées représentant des animaux marchant sur le nez.

LE LIONNAIS : Je dois signaler une double rencontre bizarre que j’ai faite. Il y a quelques jours, alors que je courrais après un taxi, je me suis heurté, au coin des rues de l’Echelle et de Rivoli, à notre Secrétaire Provisoire. Il y a une heure, ayant la sensation d’être suivi, je me suis retourné pour voir Jean Lescure marcher derrière moi. Alors, je pose la question de l’espionnage et celle de la liberté de la vie privée.

QUEVAL : La liberté doit se trouver dans le contre-espionnage !

LESCURE : Pour ma part, je précise que je venais ici lorsque j’ai rencontré le Régent. Donc…

(Nulle suite n’étant donnée à cette conjonction, pourtant ordinairement conclusive ; le S.P. s’enfermant dans un silence obstiné, l’assemblée change de sujet.)

BENS : Il faudrait établir, dans l’ordre, la liste des personnes à inviter.

(On s’accorde sur : Starynkévitch, Jean Ferry, Clancier, Philipot.)

QUENEAU : Je vous ai signalé, lors de notre dernière réunion, que le Dossier OuLiPo m’a, indirectement, brouillé avec Paulhan. J’avais alors reçu une simple lettre de lui. Depuis, la NRF. est parue

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avec la note voici :

« Il ne suffit pas, pour rendre le rhétorique amusante, de l’appeler littérature potentielle. Le dernier numéro des CAHIERS DE PATAPHYSIQUE, qui porte ce titre dégage un ennui sordide. Malgré quelques photos de banquets joyeux, réunions mondaines et remises de décoration. »

(Précisons que la brouille naquit non point tant de l’ennui sordide dégagé par, etc…, que d’une note, publiée dans ce même Dossier OuLiPo, intitulée Les Illettrés de la NRF, et qui accusait M. Jean Lebrau d’avoir commis quelques erreurs notoires à propos d’Aurier.)

LATIS : Paulhan accroche là sur un point ridicule : Lebrau était indéfendable.

LE LIONNAIS : Il faudrait trouver un moyen pratique pour nous agréger des collaborateurs provisoires et marginaux, afin de mener à bien les travaux que nous n’avons pas eu le temps de réaliser. Par exemple : Ma tante a laissé son parapluie.

(Brouhaha général.)

LE LIONNAIS : Rectifiez : Mon oncle a laissé son stick.

ARNAUD : On pourrait passer une annonce dans les Dossiers du Collège.

LE LIONNAIS : C’est cela. Puis réunir les tâcherons volontaires et leur expliquer ce que nous attendons d’eux.

QUENEAU : On pourrait leur organiser une cantine…

LESCURE : Et Le Clec’h ?

LE LIONNAIS : Faut le mettre à l’œuvre.

QUEVAL : Attention, attention : Le Clec’h, d’accord, bien entendu. Mais on ne va pas embaucher n’importe qui, hein ?

SCHMIDT : Voulez-vous que j’en parle à mes étudiants ?

LATIS : Je pourrais, de mon côté, en parler à mes élèves-ingénieurs.

(Approbations chaleureuses. On apporte quelques précisions sur les antérimes.)

QUEVAL : J’ai un travail en cours. Il s’agit de composer un sonnet d’un genre particulier, avec, par exemple, et de temps, des alexandrins du type :

Le train traverse la nuit

LE LIONNAIS : Bel exemple d’alexandrin, en effet.

QUEVAL : J’y mêle des recherches lexicologiques et l’utilisation de structures particulières.

ARNAUD (ému) : Pour moi, le train traverse toujours la nuit ! Dès qu’on parle de train, je le vois traverser la nuit. Il n’y a pas de doute.

QUENEAU : Je m’excuse, mais moi, je n’ai rien compris du tout. Peut-on avoir un supplément d’informations ?

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LATIS : Permettez-moi de résumer la pensée de…

(Arnaud manque s’étouffer de rire.)

LATIS : Je rappelle que nous sommes partis des antérimes. Queval veut faire un sonnet avec des mots inventés (ce qui apparaît à travers ces « recherches lexicologiques »), mais avec des post-rimes

QUEVAL : Mais pas du tout !

ARNAUD : Latis, ne vous découragez pas !

LATIS : Je vous ai compris !

QUEVAL : Je ne viendrai plus quand vous serez là !

(Brouhahas divers, exclamations, regrets, congratulences.)

QUEVAL : La prochaine fois, je vous apporterai un sonnet dont le titre est :

Transformation de la condition humaine dans toutes les branches de l’activité.

QUENEAU : Ca jette un froid !

QUENEAU : La réponse de Starynkevitch à notre demande est très favorable. Il peut envoyer à Liège (ou trouver sur place) une machine avec, par exemple, le programme des Cent mille milliards de sonnets. La machine fabriquerait des sonnets devant les spectateurs. Mais Starynkevitch a l’air de disposer d’autres programmes. Bull, de son côté, nous a répondu que nous pouvons avoir autant d’exemples musicaux (de Barbaud) que nous voulons. A part cela, ils ont seulement un film en couleurs peu utilisable.

LE LIONNAIS : Je vous demande pardon, mais ce qu’IBM a fait avec Xenakis est bien supérieur à ce qu’a fait Bull avec Barbaud.

LE LIONNAIS : A propos du voyage à Liège, Florkin demande que nous préparions ça d’une façon très technique, sinon il n’aura pas le budget nécessaire. Il nous demande de le faire au double point de vue spectaculaire et budgétaire.

BENS : Ne peut-on prévoir une intermission pour préparer ce programme ?

QUEVAL : Lescure ne pourrait-il s’en mêler ? Pour les questions films, commentaires, etc…

LESCURE (mollement) : Certes.

LE LIONNAIS : Pour la partie financière, il me semble qu’il y avait une sorte de clivage entre nous lors de la discussion avec Florkin. Pour ma part, je propose une somme non négligeable.

BENS : Où placez-vous la négligence ?

LE LIONNAIS : Nous en discuterons en intermission. Il faut se renseigner sur le prix des tournées théâtrales.

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ARNAUD : Montand !

LE LIONNAIS : Fixons une intermission. Quand se placerait le voyage ? Avril ?

QUENEAU : Il fait encore froid.

LE LIONNAIS : Alors, mai ?

QUENEAU : Combien d’OuLiPotes vont se déplacer ?

Tous : Moi !

LE LIONNAIS : Berge viendra également.

BENS : Il nous manque tout de même un élément d’appréciation pour préparer le programme : ce sont les possibilités de l’APIAW.

LE LIONNAIS : On discutera !

(Le Lionnais expose à l’intention des précédemment absents, les prévisions précédentes.)

LATIS : Je propose un ballet potentiel.

LE LIONNAIS : De toutes façons, nous apporterons le haut-de-forme et le gong.

ARNAUD : Y a-t-il quelqu’un ici qui serait allé voir, au Crazy Horse Saloon, le spectacle dit : « Strip-tease pataphysique » ?

(Stupéfaction générale et muette.)

ARNAUD : L’artiste dévoile peu à peu deux gidouilles phosphorescentes, l’une placée devant, l’autre derrière. Le texte est également assez incroyable. Malheureusement, ce numéro ne passe plus en ce moment.

QUELQU’UN : Pourquoi avez-vous attendu qu’il soit terminé pour nous en parler ?

(Arnaud sombre dans la confusion.)

LESCURE : J’ai fait un poème intersectif, en prose, à partir d’Aloysius Bertrand et de Rimbaud. Il est très bref :

La nuit

Déception générale.)

DUCHATEAU : Ah ! Non, c’est un peu court, j.h., etc…

QUENEAU : Pas très démonstratif.

LE LIONNAIS : Rappelons-nous, Messieurs et chers amis, qu’il existe deux usages de l’intersection : a) Analyse des rapports existant entre les styles des divers écrivains ; b) Fourniture de matériaux permettant de s’exprimer soi-même. Dans ce domaine, la plus simple est l’intersection de vocabulaire.

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LATIS : Je propose les intersections de catachrèses.

LE LIONNAIS : Quand on a un sous-ensemble d’intersections suffisamment important, on y choisit ce que l’on veut pour créer quelque chose. J’en profite pour vous répéter que je suis partisan du choix, puisque c’est le choix qui nous distingue des mécaniques (et des crétins).

QUENEAU : Je me demande si certaines de mes assertions des Entretiens avec G.C. reflètent exactement la doctrine de l’OuLiPo. Par exemple, j’ai soutenu mordicus (par esprit de contradiction, ou presque !) que nous ne présentons pas d’oeuvre. Mais ce n’est pas très clair…

LE LIONNAIS : Je suis d’accord : il s’agit de créer des structures mais pas complètement automatiques.

BENS : Puis-je respectueusement faire remarquer que Le Lionnais n’a pas répondu à la question de Queneau ?

LESCURE : Le mot « structure » me gêne. Il crée des contraintes et pas un automatisme

QUEVAL : De toute manières, c’est (et cela a toujours été) en prenant des libertés vis-à-vis de la forme que l’on crée.

BENS : Je crois que si l’OuLiPo ne crée que des structures, ses membres peuvent faire des œuvres.

ARNAUD : L’inventeur du sonnet a écrit un sonnet « exemplaire », mais pas forcément le meilleur sonnet.

SCHMIDT : Ce qui me gêne, dans le mot « automatique », c’est la référence involontaire aux surréalistes.

ARNAUD : Je crois que plus personne, aujourd’hui, n’utilise le mot « automatique » au sens surréaliste.

LE LIONNAIS : Il est exact que la naissance des machines électroniques a modifié le sens courant d’« automatique ».

BENS : J’aimerais rappeler ce qu’a dit Berge un jour, et que nous avons tous approuvé et c’est : nous somme contre le hasard.

LE LIONNAIS : Le mot « structure » contient tout ce qu’il y a dans le mot « automatisme ». « Contrainte » également.

QUEVAL : S’il n’y a pas une distance entre l’homme et la structure, cela ne nous intéresse pas.

LE LIONNAIS : Et S + 7.

LATIS : Le choix de 7 (ou 8, ou 9) peut être très concerté !

Albert-Marie Schmidt lit des poèmes lipogrammatiques de Salomon Certon.

LE LIONNAIS : Ce qui est intéressant, c’est que Certon nous montre qu’à l’intérieur d’une contrainte, on peut trouver des choses auxquelles on n’aurait pas pensé sans cela.

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Une intermission, composée de : Queneau, Le Lionnais, Lescure, Arnaud et Bens, se réunira, le jeudi 10 janvier, à La Frégate (coin rue du Bac/quai)

La prochaine réunion de l’OuLiPo se tiendra le vendredi 18 janvier chez M. et Mme Queneau.

M. Starynkevitch sera invité à se joindre à nous.

Par intérim,

Pauline Réage.

Texte

OUVROIR DE
LITTERATURE
POTENTIELLE

Circulaire n° 28

REUNION DU VENDREDI 14 DECEMBRE 1962

(tenue chez Mme et M. Duchateau, à Paris)

PRESENTS : Latis, Arnaud, Duchateau, Schmidt, Lescure, Queneau, Le Lionnais, Queval, Bens.

INVITÉ : M. Henri-Pol BOUCHÉ

PRESIDENT : LATIS.

On cause des Entretiens (de R. Queneau) avec Georges Charbonnier

SCHMIDT : Ce n’est pas à partir d’Henri Monnier qu’on s’est occupé de la langue populaire, mais bien avant : les « Soties » de la fin du XVe siècle contenaient des éléments de langage notés dans la rue.

On cause, aussi, des Rhinogrades.

SCHMIDT : Du temps de Morgenstern on a effectivement vendu des poupées représentant des animaux marchant sur le nez.

LE LIONNAIS : Je dois signaler une double rencontre bizarre que j’ai faite. Il y a quelques jours, alors que je courrais après un taxi, je me suis heurté, au coin des rues de l’Echelle et de Rivoli, à notre Secrétaire Provisoire. Il y a une heure, ayant la sensation d’être suivi, je me suis retourné pour voir Jean Lescure marcher derrière moi. Alors, je pose la question de l’espionnage et celle de la liberté de la vie privée.

QUEVAL : La liberté doit se trouver dans le contre-espionnage !

LESCURE : Pour ma part, je précise que je venais ici lorsque j’ai rencontré le Régent. Donc…

(Nulle suite n’étant donnée à cette conjonction, pourtant ordinairement conclusive ; le S.P. s’enfermant dans un silence obstiné, l’assemblée change de sujet.)

BENS : Il faudrait établir, dans l’ordre, la liste des personnes à inviter.

(On s’accorde sur : Starynkévitch, Jean Ferry, Clancier, Philipot.)

QUENEAU : Je vous ai signalé, lors de notre dernière réunion, que le Dossier OuLiPo m’a, indirectement, brouillé avec Paulhan. J’avais alors reçu une simple lettre de lui. Depuis, la NRF. est parue

avec la note voici :

« Il ne suffit pas, pour rendre le rhétorique amusante, de l’appeler littérature potentielle. Le dernier numéro des CAHIERS DE PATAPHYSIQUE, qui porte ce titre dégage un ennui sordide. Malgré quelques photos de banquets joyeux, réunions mondaines et remises de décoration. »

(Précisons que la brouille naquit non point tant de l’ennui sordide dégagé par, etc…, que d’une note, publiée dans ce même Dossier OuLiPo, intitulée Les Illettrés de la NRF, et qui accusait M. Jean Lebrau d’avoir commis quelques erreurs notoires à propos d’Aurier.)

LATIS : Paulhan accroche là sur un point ridicule : Lebrau était indéfendable.

LE LIONNAIS : Il faudrait trouver un moyen pratique pour nous agréger des collaborateurs provisoires et marginaux, afin de mener à bien les travaux que nous n’avons pas eu le temps de réaliser. Par exemple : Ma tante a laissé son parapluie.

(Brouhaha général.)

LE LIONNAIS : Rectifiez : Mon oncle a laissé son stick.

ARNAUD : On pourrait passer une annonce dans les Dossiers du Collège.

LE LIONNAIS : C’est cela. Puis réunir les tâcherons volontaires et leur expliquer ce que nous attendons d’eux.

QUENEAU : On pourrait leur organiser une cantine…

LESCURE : Et Le Clec’h ?

LE LIONNAIS : Faut le mettre à l’œuvre.

QUEVAL : Attention, attention : Le Clec’h, d’accord, bien entendu. Mais on ne va pas embaucher n’importe qui, hein ?

SCHMIDT : Voulez-vous que j’en parle à mes étudiants ?

LATIS : Je pourrais, de mon côté, en parler à mes élèves-ingénieurs.

(Approbations chaleureuses. On apporte quelques précisions sur les antérimes.)

QUEVAL : J’ai un travail en cours. Il s’agit de composer un sonnet d’un genre particulier, avec, par exemple, et de temps, des alexandrins du type :

Le train traverse la nuit

LE LIONNAIS : Bel exemple d’alexandrin, en effet.

QUEVAL : J’y mêle des recherches lexicologiques et l’utilisation de structures particulières.

ARNAUD (ému) : Pour moi, le train traverse toujours la nuit ! Dès qu’on parle de train, je le vois traverser la nuit. Il n’y a pas de doute.

QUENEAU : Je m’excuse, mais moi, je n’ai rien compris du tout. Peut-on avoir un supplément d’informations ?

LATIS : Permettez-moi de résumer la pensée de…

(Arnaud manque s’étouffer de rire.)

LATIS : Je rappelle que nous sommes partis des antérimes. Queval veut faire un sonnet avec des mots inventés (ce qui apparaît à travers ces « recherches lexicologiques »), mais avec des post-rimes

QUEVAL : Mais pas du tout !

ARNAUD : Latis, ne vous découragez pas !

LATIS : Je vous ai compris !

QUEVAL : Je ne viendrai plus quand vous serez là !

(Brouhahas divers, exclamations, regrets, congratulences.)

QUEVAL : La prochaine fois, je vous apporterai un sonnet dont le titre est :

Transformation de la condition humaine dans toutes les branches de l’activité.

QUENEAU : Ca jette un froid !

QUENEAU : La réponse de Starynkevitch à notre demande est très favorable. Il peut envoyer à Liège (ou trouver sur place) une machine avec, par exemple, le programme des Cent mille milliards de sonnets. La machine fabriquerait des sonnets devant les spectateurs. Mais Starynkevitch a l’air de disposer d’autres programmes. Bull, de son côté, nous a répondu que nous pouvons avoir autant d’exemples musicaux (de Barbaud) que nous voulons. A part cela, ils ont seulement un film en couleurs peu utilisable.

LE LIONNAIS : Je vous demande pardon, mais ce qu’IBM a fait avec Xenakis est bien supérieur à ce qu’a fait Bull avec Barbaud.

LE LIONNAIS : A propos du voyage à Liège, Florkin demande que nous préparions ça d’une façon très technique, sinon il n’aura pas le budget nécessaire. Il nous demande de le faire au double point de vue spectaculaire et budgétaire.

BENS : Ne peut-on prévoir une intermission pour préparer ce programme ?

QUEVAL : Lescure ne pourrait-il s’en mêler ? Pour les questions films, commentaires, etc…

LESCURE (mollement) : Certes.

LE LIONNAIS : Pour la partie financière, il me semble qu’il y avait une sorte de clivage entre nous lors de la discussion avec Florkin. Pour ma part, je propose une somme non négligeable.

BENS : Où placez-vous la négligence ?

LE LIONNAIS : Nous en discuterons en intermission. Il faut se renseigner sur le prix des tournées théâtrales.

ARNAUD : Montand !

LE LIONNAIS : Fixons une intermission. Quand se placerait le voyage ? Avril ?

QUENEAU : Il fait encore froid.

LE LIONNAIS : Alors, mai ?

QUENEAU : Combien d’OuLiPotes vont se déplacer ?

Tous : Moi !

LE LIONNAIS : Berge viendra également.

BENS : Il nous manque tout de même un élément d’appréciation pour préparer le programme : ce sont les possibilités de l’APIAW.

LE LIONNAIS : On discutera !

(Le Lionnais expose à l’intention des précédemment absents, les prévisions précédentes.)

LATIS : Je propose un ballet potentiel.

LE LIONNAIS : De toutes façons, nous apporterons le haut-de-forme et le gong.

ARNAUD : Y a-t-il quelqu’un ici qui serait allé voir, au Crazy Horse Saloon, le spectacle dit : « Strip-tease pataphysique » ?

(Stupéfaction générale et muette.)

ARNAUD : L’artiste dévoile peu à peu deux gidouilles phosphorescentes, l’une placée devant, l’autre derrière. Le texte est également assez incroyable. Malheureusement, ce numéro ne passe plus en ce moment.

QUELQU’UN : Pourquoi avez-vous attendu qu’il soit terminé pour nous en parler ?

(Arnaud sombre dans la confusion.)

LESCURE : J’ai fait un poème intersectif, en prose, à partir d’Aloysius Bertrand et de Rimbaud. Il est très bref :

La nuit

Déception générale.)

DUCHATEAU : Ah ! Non, c’est un peu court, j.h., etc…

QUENEAU : Pas très démonstratif.

LE LIONNAIS : Rappelons-nous, Messieurs et chers amis, qu’il existe deux usages de l’intersection : a) Analyse des rapports existant entre les styles des divers écrivains ; b) Fourniture de matériaux permettant de s’exprimer soi-même. Dans ce domaine, la plus simple est l’intersection de vocabulaire.

LATIS : Je propose les intersections de catachrèses.

LE LIONNAIS : Quand on a un sous-ensemble d’intersections suffisamment important, on y choisit ce que l’on veut pour créer quelque chose. J’en profite pour vous répéter que je suis partisan du choix, puisque c’est le choix qui nous distingue des mécaniques (et des crétins).

QUENEAU : Je me demande si certaines de mes assertions des Entretiens avec G.C. reflètent exactement la doctrine de l’OuLiPo. Par exemple, j’ai soutenu mordicus (par esprit de contradiction, ou presque !) que nous ne présentons pas d’oeuvre. Mais ce n’est pas très clair…

LE LIONNAIS : Je suis d’accord : il s’agit de créer des structures mais pas complètement automatiques.

BENS : Puis-je respectueusement faire remarquer que Le Lionnais n’a pas répondu à la question de Queneau ?

LESCURE : Le mot « structure » me gêne. Il crée des contraintes et pas un automatisme

QUEVAL : De toute manières, c’est (et cela a toujours été) en prenant des libertés vis-à-vis de la forme que l’on crée.

BENS : Je crois que si l’OuLiPo ne crée que des structures, ses membres peuvent faire des œuvres.

ARNAUD : L’inventeur du sonnet a écrit un sonnet « exemplaire », mais pas forcément le meilleur sonnet.

SCHMIDT : Ce qui me gêne, dans le mot « automatique », c’est la référence involontaire aux surréalistes.

ARNAUD : Je crois que plus personne, aujourd’hui, n’utilise le mot « automatique » au sens surréaliste.

LE LIONNAIS : Il est exact que la naissance des machines électroniques a modifié le sens courant d’« automatique ».

BENS : J’aimerais rappeler ce qu’a dit Berge un jour, et que nous avons tous approuvé et c’est : nous somme contre le hasard.

LE LIONNAIS : Le mot « structure » contient tout ce qu’il y a dans le mot « automatisme ». « Contrainte » également.

QUEVAL : S’il n’y a pas une distance entre l’homme et la structure, cela ne nous intéresse pas.

LE LIONNAIS : Et S + 7.

LATIS : Le choix de 7 (ou 8, ou 9) peut être très concerté !

Albert-Marie Schmidt lit des poèmes lipogrammatiques de Salomon Certon.

LE LIONNAIS : Ce qui est intéressant, c’est que Certon nous montre qu’à l’intérieur d’une contrainte, on peut trouver des choses auxquelles on n’aurait pas pensé sans cela.

Une intermission, composée de : Queneau, Le Lionnais, Lescure, Arnaud et Bens, se réunira, le jeudi 10 janvier, à La Frégate (coin rue du Bac/quai)

La prochaine réunion de l’OuLiPo se tiendra le vendredi 18 janvier chez M. et Mme Queneau.

M. Starynkevitch sera invité à se joindre à nous.

Par intérim,

Pauline Réage.

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