Compte-rendu de la réunion du 4 juin 1962

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OUVROIR
DE LITTERATURE
POTENTIELLE

Circulaire n°22

Réunion du 4 juin 1962

Présents : Arnaud, Bens, Berge, Duchateau, Le Lionnais, Lescure, Queneau, Queval

Excusés : Latis, Schmidt

Invité : Guy Le Clec’h

Président : Claude Berge

Le S.P. donne lecture d’une lettre de Latis aux termes de laquelle notre collègue propose sa nomination comme « membre surnuméraire » de l’OuLiPo (voir lettre en annexe  ). L’assemblée estime que, même si notre ami ne peut participer à toutes réunions, ce que nous déplorons bien sûr, il doit conserver son titre de « membre actif », titre inamovible.

Discussion des statuts

LE LIONNAIS : Je propose la modification suivante : remplacer, au paragraphe II, art. 2, le mot « régulièrement », par le mot « éternellement ». Je propose, en outre, la création de membres inactifs.

LESCURE : Toute objection aux statuts entraînera une refonte totale des dits statuts par l’objecteur.

Les statuts sont acceptés à l’unanimité moyennant les modifications ci-dessus.

QUENEAU : Je demande que l’OuLiPo soit déclaré d’utilité publique.

BENS : Le Collège est déjà déclaré d’Inutilité publique. Il y a peut-être incompatibilité…

LE LIONNAIS : Réclamons la nocivité publique.

QUENEAU : Nous écrirons au général de Gaulle.

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LE LIONNAIS : Blavier nous invite à tenir, au mois de décembre, une réunion de l’OuLiPo à Liège. Il nous propose une somme globale de 50.000 francs (anciens) pour parvenir en Belgique. Le séjour sera assuré.

QUEVAL : 50.000 francs, que faut-il faire ?

ARNAUD : Il n’est pas au courant ! Il était absent !!

QUEVAL : Je m’incline.

QUENEAU : Au fond, n’y avait-il pas une lueur de bon sens dans cette interruption ? Qu’allons-nous faire en effet ?

LESCURE : On va radioter.

BENS : Alors, ça vaut plus cher que ça.

ARNAUD : Ils veulent une séance de l’OuLiPo publique et radiotée. En somme, nous devons organiser une fausse séance…

BENS : Cela risque de n’être pas très naturel.

QUEVAL : Elisons dix nouveaux membres actifs. Ils iront à notre place.

ARNAUD : C’est le premier financement de l’OuLiPo.

LESCURE : Je trouve étonnante, appréciable, une telle proposition.

ARNAUD : Il faudra tout de même mettre sur pied un programme de travaux.

BENS : Nous étudierons cette séance au cours d’une prochaine réunion.

QUENEAU : Récemment, je me rendis en Italie pour un colloque. On est assis sur une estrade. On parle. Il y a des gens dans la salle qui écoutent.

BENS : Il faut roder nos astuces.

QUENEAU : Exemple : le petit bouchon de Liège !

LE LIONNAIS : Je pourrais ressortir : « Si Shakespeare… »

LE LIONNAIS : Je vous propose un candidat pour le titre de correspondant. Il s’agit de B.R.

QUENEAU : C’est un type très remarquable, mais je ne vois pas en quoi nous l’intéressons.

LE LIONNAIS : Il se croit capable de nous proposer des structures.

QUENEAU : J’en doute. Il faudrait une période d’initiation. Il est très bavard. Il présente une sorte de snobisme intellectuel.

LE CLEC’H : Tout à fait de votre avis.

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LE LIONNAIS : Je vous propose d’inviter, au cours d’un de nos prochains déjeuners, le Satrape Jean Ferry.

Tous : D’accord.

LE LIONNAIS : Il va y avoir une séance Xénakis chez IBM. IBM est toujours favorable à des expériences pour le prestige. Donc, nous pouvons utiliser leurs machines si nous avons un programme précis.

BENS : Nous confions à Queneau et Le Lionnais le soin d’établir ce programme.

LE LIONNAIS : Nous avons déjà parlé des poèmes isosyntaxiques. Je vous propose de diviser les difficultés en effectuant des isosyntaxismes partiels : poèmes isosubstantifs, isoadjectifs, isoverbes, etc.

DUCHATEAU fait le point de son travail sur un roman intersectif. (Voir en annexe  ).

QUENEAU : Nous sommes à un moment capital de l’OuLiPo. Ce travail de Duchateau prouve que nous n’avons pas travaillé en vain.

LE LIONNAIS (toujours spirituel) : En vin !

Raymond Queneau présente le Bottin imaginaire fabriqué par la machine de M. Starynkevitch (voir annexes  ).

QUENEAU : Ce n’est pas tout à fait de la LiPo, mais je trouve ça formidable.

(Peu d’échos.)

QUENEAU : L’intéressant, c’est que ce n’est pas « intéressant ». Je veux dire : ni bizarre, ni drôle, etc…

BERGE : Il faudrait connaitre la loi de fabrication.

BENS : M. Starynkevitch l’a communiquée.

LE LIONNAIS : Enfin, il faudra tout de même inviter Starynkevitch !

(Approbations générales.)

Queneau présente également l’ouvrage de Jacques Yonnet sur les sigles. Il s’agit d’un cahier à onglets donnant 646 combinaisons de sigles sur les initiales du mot France. Quelques exemples de ces combinaisons se trouvent en annexe   de la présente circulaire.

Il parait que cet ouvrage a été présenté au général de Gaulle qui a beaucoup ri. Madame de Gaulle aurait trouvé cela inepte.

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QUENEAU : J’estime que la contribution des mathématiciens de l’OuLiPo est insuffisante. Nous n’avons pas de problème assez difficile à résoudre.

BERGE : Je voulais faire un poème anti-homologique des cent mille milliards de poèmes. Il me faut pour cela la collaboration d’autres membres de l’OuLiPo.

QUEVAL : Je suis en train de collaborer à un film sur la langue française. Jusqu’ici, on ne faisait que des images (par exemple : sur Chateaubriand, etc.). Nous, on revient au commencement. On voit très vite les déviations possibles.

(Quelqu’un parle, à ce moment, du « Révérend Satrape ». On se récrie. Mais Queneau :

– Révérend ne me choque pas !)

QUEVAL : On parle toujours de la discordance des temps. Il existe aussi une discordance des genres. Par exemple, on dit : « Je suis beau, tu es beau, il est beau » ; on pense : « Je suis beau, tu es à moitié beau, il est affreux. »

(Rires)

BENS : Il y a donc une recherche en cours, qui peut suggérer, au passage, des recherches supplémentaires.

QUENEAU : Nous pensons que le langage existe. Il est important que d’autres pensent qu’il n’existe pas. Mais nous pensons qu’il existe.

ARNAUD : Que pensez-vous des travaux de « Rhinozeros » ?

BENS : Ce qui est ennuyeux, c’est que c’est en allemand. On n’y comprend rien.

QUENEAU : Très intéressant. Mais cela ne nous concerne pas.

LE LIONNAIS : Ces recherches portent sur les morphèmes, et nos travaux sur les syntaxèmes.

LE CLEC’H : Dans un supplément littéraire du « Times », j’ai trouvé des poèmes écrits pour des machines électroniques.

ARNAUD : J’ai une collection que je peux déposer aux archives de l’OuLiPo.

Prochaine réunion chez Le Lionnais, le lundi 2 juillet, à partir de 18h30.

Prière d’amener sa femme.

Le S.P.

Texte

OUVROIR
DE LITTERATURE
POTENTIELLE

Circulaire n°22

Réunion du 4 juin 1962

Présents : Arnaud, Bens, Berge, Duchateau, Le Lionnais, Lescure, Queneau, Queval

Excusés : Latis, Schmidt

Invité : Guy Le Clec’h

Président : Claude Berge

Le S.P. donne lecture d’une lettre de Latis aux termes de laquelle notre collègue propose sa nomination comme « membre surnuméraire » de l’OuLiPo (voir lettre en annexe  ). L’assemblée estime que, même si notre ami ne peut participer à toutes réunions, ce que nous déplorons bien sûr, il doit conserver son titre de « membre actif », titre inamovible.

Discussion des statuts

LE LIONNAIS : Je propose la modification suivante : remplacer, au paragraphe II, art. 2, le mot « régulièrement », par le mot « éternellement ». Je propose, en outre, la création de membres inactifs.

LESCURE : Toute objection aux statuts entraînera une refonte totale des dits statuts par l’objecteur.

Les statuts sont acceptés à l’unanimité moyennant les modifications ci-dessus.

QUENEAU : Je demande que l’OuLiPo soit déclaré d’utilité publique.

BENS : Le Collège est déjà déclaré d’Inutilité publique. Il y a peut-être incompatibilité…

LE LIONNAIS : Réclamons la nocivité publique.

QUENEAU : Nous écrirons au général de Gaulle.

LE LIONNAIS : Blavier nous invite à tenir, au mois de décembre, une réunion de l’OuLiPo à Liège. Il nous propose une somme globale de 50.000 francs (anciens) pour parvenir en Belgique. Le séjour sera assuré.

QUEVAL : 50.000 francs, que faut-il faire ?

ARNAUD : Il n’est pas au courant ! Il était absent !!

QUEVAL : Je m’incline.

QUENEAU : Au fond, n’y avait-il pas une lueur de bon sens dans cette interruption ? Qu’allons-nous faire en effet ?

LESCURE : On va radioter.

BENS : Alors, ça vaut plus cher que ça.

ARNAUD : Ils veulent une séance de l’OuLiPo publique et radiotée. En somme, nous devons organiser une fausse séance…

BENS : Cela risque de n’être pas très naturel.

QUEVAL : Elisons dix nouveaux membres actifs. Ils iront à notre place.

ARNAUD : C’est le premier financement de l’OuLiPo.

LESCURE : Je trouve étonnante, appréciable, une telle proposition.

ARNAUD : Il faudra tout de même mettre sur pied un programme de travaux.

BENS : Nous étudierons cette séance au cours d’une prochaine réunion.

QUENEAU : Récemment, je me rendis en Italie pour un colloque. On est assis sur une estrade. On parle. Il y a des gens dans la salle qui écoutent.

BENS : Il faut roder nos astuces.

QUENEAU : Exemple : le petit bouchon de Liège !

LE LIONNAIS : Je pourrais ressortir : « Si Shakespeare… »

LE LIONNAIS : Je vous propose un candidat pour le titre de correspondant. Il s’agit de B.R.

QUENEAU : C’est un type très remarquable, mais je ne vois pas en quoi nous l’intéressons.

LE LIONNAIS : Il se croit capable de nous proposer des structures.

QUENEAU : J’en doute. Il faudrait une période d’initiation. Il est très bavard. Il présente une sorte de snobisme intellectuel.

LE CLEC’H : Tout à fait de votre avis.

LE LIONNAIS : Je vous propose d’inviter, au cours d’un de nos prochains déjeuners, le Satrape Jean Ferry.

Tous : D’accord.

LE LIONNAIS : Il va y avoir une séance Xénakis chez IBM. IBM est toujours favorable à des expériences pour le prestige. Donc, nous pouvons utiliser leurs machines si nous avons un programme précis.

BENS : Nous confions à Queneau et Le Lionnais le soin d’établir ce programme.

LE LIONNAIS : Nous avons déjà parlé des poèmes isosyntaxiques. Je vous propose de diviser les difficultés en effectuant des isosyntaxismes partiels : poèmes isosubstantifs, isoadjectifs, isoverbes, etc.

DUCHATEAU fait le point de son travail sur un roman intersectif. (Voir en annexe  ).

QUENEAU : Nous sommes à un moment capital de l’OuLiPo. Ce travail de Duchateau prouve que nous n’avons pas travaillé en vain.

LE LIONNAIS (toujours spirituel) : En vin !

Raymond Queneau présente le Bottin imaginaire fabriqué par la machine de M. Starynkevitch (voir annexes  ).

QUENEAU : Ce n’est pas tout à fait de la LiPo, mais je trouve ça formidable.

(Peu d’échos.)

QUENEAU : L’intéressant, c’est que ce n’est pas « intéressant ». Je veux dire : ni bizarre, ni drôle, etc…

BERGE : Il faudrait connaitre la loi de fabrication.

BENS : M. Starynkevitch l’a communiquée.

LE LIONNAIS : Enfin, il faudra tout de même inviter Starynkevitch !

(Approbations générales.)

Queneau présente également l’ouvrage de Jacques Yonnet sur les sigles. Il s’agit d’un cahier à onglets donnant 646 combinaisons de sigles sur les initiales du mot France. Quelques exemples de ces combinaisons se trouvent en annexe   de la présente circulaire.

Il parait que cet ouvrage a été présenté au général de Gaulle qui a beaucoup ri. Madame de Gaulle aurait trouvé cela inepte.

QUENEAU : J’estime que la contribution des mathématiciens de l’OuLiPo est insuffisante. Nous n’avons pas de problème assez difficile à résoudre.

BERGE : Je voulais faire un poème anti-homologique des cent mille milliards de poèmes. Il me faut pour cela la collaboration d’autres membres de l’OuLiPo.

QUEVAL : Je suis en train de collaborer à un film sur la langue française. Jusqu’ici, on ne faisait que des images (par exemple : sur Chateaubriand, etc.). Nous, on revient au commencement. On voit très vite les déviations possibles.

(Quelqu’un parle, à ce moment, du « Révérend Satrape ». On se récrie. Mais Queneau :

– Révérend ne me choque pas !)

QUEVAL : On parle toujours de la discordance des temps. Il existe aussi une discordance des genres. Par exemple, on dit : « Je suis beau, tu es beau, il est beau » ; on pense : « Je suis beau, tu es à moitié beau, il est affreux. »

(Rires)

BENS : Il y a donc une recherche en cours, qui peut suggérer, au passage, des recherches supplémentaires.

QUENEAU : Nous pensons que le langage existe. Il est important que d’autres pensent qu’il n’existe pas. Mais nous pensons qu’il existe.

ARNAUD : Que pensez-vous des travaux de « Rhinozeros » ?

BENS : Ce qui est ennuyeux, c’est que c’est en allemand. On n’y comprend rien.

QUENEAU : Très intéressant. Mais cela ne nous concerne pas.

LE LIONNAIS : Ces recherches portent sur les morphèmes, et nos travaux sur les syntaxèmes.

LE CLEC’H : Dans un supplément littéraire du « Times », j’ai trouvé des poèmes écrits pour des machines électroniques.

ARNAUD : J’ai une collection que je peux déposer aux archives de l’OuLiPo.

Prochaine réunion chez Le Lionnais, le lundi 2 juillet, à partir de 18h30.

Prière d’amener sa femme.

Le S.P.

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