Compte-rendu de la réunion du 5 juin 1961

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Circulaire nº 10

10 juin 1961

COLLEGE DE ‘PATAPHYSIQUE

Sous-Commission de l’OuLiPo

Cabinet du Secrétaire Défi-Définitif

COMPTE-RENDU DE LA REUNION DU 5 JUIN 1961

Etaient présents (en faisant le tour de la table dans le sens négatif) :

R. Queneau, F. Le Lionnais, P. Braffort, J. Bens, J. Lescure, A.–M. Schmidt, C. Berge, N. Arnaud.

Etaient excusés : Latis, J. Queval.

Présidait : Claude BERGE.

Des paroles de bienvenue sont, dès l’abord, prononcées par notre Président-Fondateur François Le Lionnais à l’égard de Paul Braffort, membre correspondant. Paul Braffort, dans une brève (mais alerte) réponse, annonça la prochaine acquisition de l’Euratom : une magnifique calculatrice électronique, dès à présent baptisée ZAZIE (de : Zahlen (D), Analyser (GB), Zuur (NL), Informazione (I), Exploitation (P)). On félicite, en la personne de Paul Braffort, la direction généralement internationale de l’Euratom pour la manifestation de sentiments aussi pataphysiquement potentiels.

François Le Lionnais donne alors (enfin) lecture de son poème algolique. Le voici :

ALLER AU REEL

POUR FAIRE VRAI

TANDIS QUE FAUX PERSISTANT …

TABLEAU ! ...

F. Le Lionnais ne nous a pas indiqué si les … et le ! font partie du vocabulaire ALGOL. Mais il a affirmé que ce poème a l’allure des programmes que l’on soumet aux machines algologlottes — non sans préciser, toutefois, que ce programme-là n’a eu que peu de chances de correspondre à un problème soluble. A quoi Paul Braffort ajoute qu’il est parfaitement possible de composer des poèmes constituant un programme réellement cohérent. Nous attendons, avec curiosité, de telles communications.

C’est ici que certains convives fraternisèrent en partageant leur thon et leurs anchois.

Jacques Duchâteau prend alors la parole pour annoncer un projet de roman intersectif. Il s’agit de déterminer les intersections (de

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personnages, de situations, de style, etc…) existant entre trois romans, et d’utiliser ces intersections pour confectionner un quatrième roman. Les trois romans choisis sont, pour l’instant : SYLVIE (Nerval), LES DEUX MAITRESSES (Musset), et CECILE (Constant). Ce travail, assez important, suppose une étroite collaboration entre plusieurs membres. La collaboration du S.P. est actuellement acquise. L’assemblée autorise Jacques Duchâteau à faire appel, en outre, suivant les modalités prévues par la Circulaire nº 4, à un collaborateur extérieur à l’OuLiPo, M. Guy Le Clec’h sera probablement pressenti.

Paul Braffort qui doit se rendre à Besançon, demandera au Centre de Recherches Lexicologiques de la vieille ville espagnole d’établir, si ce n’est possible, les intersections de vocabulaire entre les trois romans envisagés.

Au cours d’une digression sur Carnac, le T. S. Raymond Queneau se

déclare déçu par les menhirs qui sont, dit-il, de bien petite taille.

Albert-Marie Schmidt prend leur défense, arguant de leur nombre (con-

sidérable) et de leur alignement (parfait).

Albert-Marie Schmidt conserve d’ailleurs la parole pour lire un texte extrait des VOYAGES DE GULLIVER et concernant la machine de l’Académie de Lagado (orthographe non garantie — N. D. S. P.). Ce texte tout à fait remarquable prouve, chez Swift, des préoccupations d’ordre littéraro-potentiel très élevées. Noël Arnaud propose de le faire publier dans le Dossier du Collège consacré à l’OuLiPo. Cette proposition est acceptée avec enthousiasme.

(On remarque, non sans quelque amertume, que le bas-bout de la table (d’aucuns prétendant qu’il s’agit du haut-bout, mais ils font preuve d’esprit de parti), composé de MM. Lescure, Arnaud, Queneau et Le Lionnais (les plus remarquables Optimates du Collège, hélas !), réquisitionne toutes les bouteilles de vin de Bordeaux, et ceci sans raison — et même en ricanant.)

Raymond Queneau annonce le Super-Cocktail du 16 juin 1961, offert par les Etablissements Gallimard, en leurs salons et jardin, avec le concours des Sociétés Martini, Mumm, Cinzano, Orangina et Source Perrier.

Jacques Bens donne alors quelques Préliminaires méthodologiques pour la confection de Sonnets Privilégiés, tirés des CENT MILLE MILLIARDS DE POEMES. La définition d’un Sonnet Privilégié peut être ainsi énoncée (sous réserve de révisions ultérieures) :

« On appellera Sonnet Privilégié tout sonnet obtenu à partir d’un « ensemble déjà cohérent dans un précédent système de références. »

Jacques Bens donne quelques exemples de méthodes et invite tous

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les participants à proposer des méthodes originales.

Le S.P. est chargé de réaliser le Sonnet Privilégié obtenu à partir des 14 membres de l’OuLiPo (cf. Documents annexes  ). Ce sonnet sera publié dans le Dossier OuLiPo.

En outre, François Le Lionnais demande que soit attribué un sonnet à chacun. Ceci ne pourra être réalisé qu’après adoption d’une méthode particulière.

Paul Braffort propose d’utiliser les 14 premières décimales de pi. Mais ce procédé, ne donnant qu’une seule solution, ne constitue pas, à proprement parler, une méthode.

Noël Arnaud donne alors lecture d’un très curieux « drame alphabétique en trois actes : LE ROI BAFOUE, par Simon Leroux. Il essaiera de joindre l’auteur, pour une éventuelle publication dans les Dossiers du Collège.

Raymond Queneau signale l’existence d’un village nommé LOULIPE (ou d’un cours d’eau intitulé L’OULIPE ?) , situé « après Chartres », sur la route de Paris à La Forêt-Fouesnant. (Il ne peut préciser davantage.) Le dictionnaire Larousse en deux volumes, consulté, ne tient compte ni de l’un, ni de l’autre. Il faudrait, sans doute, compulser un dictionnaire des communes.

Noël Arnaud donne lecture d’une lettre de Latis concernant les dérivés du mot OuLiPo (cf. Documents annexes  ). Chacun est invité à réfléchir aux remarques et propositions de Latis. Un vote interviendra lors d’une séance ultérieure. Dès à présent, cependant :

R. Queneau et A.M. Schmidt sont partisans de conserver OuLiPien, car :

A.M. Schmidt considère que la désinence Ot est « péjorative, badine et familière », si

bien que :

R. Queneau et J. Lescure proposent de la réserver aux « familiarités et mignardises » ;

J. Lescure aimerait également réserver OuLiPoètes (et OuLiPoèmes) à certaines

activités (il ne dit pas lesquelles) ;

J. Bens est tout à fait séduit par OuLiPotier et OuLiPoterie, à cause, prétend-il, du

contenu artisanal qu’ils comportent ;

A.M. Schmidt propose, à d’autres fins, OuLiPothèses ;

— Enfin, Noël Arnaud rappelle que « les mots créés doivent être solidement établis », car

c’est sur le vocabulaire que se fondent toutes les activités humaines, a fortiori les nôtres. (On lui donne raison).

Noël Arnaud propose la création d’un insigne de l’OuLiPo. Chacun est invité à envisager diverses possibilités. On en reparlera lors de la prochaine séance.

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Jean Lescure s’engage à prendre contact avec M. Bokanovski pour la gravure et la diffusion, par le Ministère compétent, d’un timbre-poste à la gloire de l’OuLiPo. François Le Lionnais aimerait assez que ce timbre représentât Les Jeux OuLiPiques.

Jean Lescure présente la décade cerisyenne du 8 au 18 septembre 1961. Cette décade, qui prétend étudier Le Cinéma dans l’évolution des langages, est en réalité une décade de l’OuLiPo.

Malheureusement, il semble que peu de membres présents pourront y assister. Si bien que cette manifestation pourrait prendre un caractère potentiellement ésotérique.

Claude Berge, par exemple, sera à Calcutta. X… (conservons pudiquement son anonymat) insiste pour lui indiquer les « inoubliables » quartiers réservés de cette ville du Bengale occidental.

François Le Lionnais souhaite que des communications soient demandées aux membres duMM. MYAM. Jean Lescure prendra téléphoniquement langue avec MM. Philippot et Moles. Le S. P. leur adressera, par la suite, une invitation officielle.

La prochaine réunion aura lieu, au Restaurant Laborderie (40 rue de l’Université),

LUNDI 26 JUIN 1961

(en la fête de Sainte-Héloïse)

Pour le Secrétaire-Définitif,

le Secrétaire du S.P. :

Ythier Marchant.

Texte

Circulaire nº 10

10 juin 1961

COLLEGE DE ‘PATAPHYSIQUE

Sous-Commission de l’OuLiPo

Cabinet du Secrétaire Défi-Définitif

COMPTE-RENDU DE LA REUNION DU 5 JUIN 1961

Etaient présents (en faisant le tour de la table dans le sens négatif) :

R. Queneau, F. Le Lionnais, P. Braffort, J. Bens, J. Lescure, A.–M. Schmidt, C. Berge, N. Arnaud.

Etaient excusés : Latis, J. Queval.

Présidait : Claude BERGE.

Des paroles de bienvenue sont, dès l’abord, prononcées par notre Président-Fondateur François Le Lionnais à l’égard de Paul Braffort, membre correspondant. Paul Braffort, dans une brève (mais alerte) réponse, annonça la prochaine acquisition de l’Euratom : une magnifique calculatrice électronique, dès à présent baptisée ZAZIE (de : Zahlen (D), Analyser (GB), Zuur (NL), Informazione (I), Exploitation (P)). On félicite, en la personne de Paul Braffort, la direction généralement internationale de l’Euratom pour la manifestation de sentiments aussi pataphysiquement potentiels.

François Le Lionnais donne alors (enfin) lecture de son poème algolique. Le voici :

ALLER AU REEL

POUR FAIRE VRAI

TANDIS QUE FAUX PERSISTANT …

TABLEAU ! ...

F. Le Lionnais ne nous a pas indiqué si les … et le ! font partie du vocabulaire ALGOL. Mais il a affirmé que ce poème a l’allure des programmes que l’on soumet aux machines algologlottes — non sans préciser, toutefois, que ce programme-là n’a eu que peu de chances de correspondre à un problème soluble. A quoi Paul Braffort ajoute qu’il est parfaitement possible de composer des poèmes constituant un programme réellement cohérent. Nous attendons, avec curiosité, de telles communications.

C’est ici que certains convives fraternisèrent en partageant leur thon et leurs anchois.

Jacques Duchâteau prend alors la parole pour annoncer un projet de roman intersectif. Il s’agit de déterminer les intersections (de

personnages, de situations, de style, etc…) existant entre trois romans, et d’utiliser ces intersections pour confectionner un quatrième roman. Les trois romans choisis sont, pour l’instant : SYLVIE (Nerval), LES DEUX MAITRESSES (Musset), et CECILE (Constant). Ce travail, assez important, suppose une étroite collaboration entre plusieurs membres. La collaboration du S.P. est actuellement acquise. L’assemblée autorise Jacques Duchâteau à faire appel, en outre, suivant les modalités prévues par la Circulaire nº 4, à un collaborateur extérieur à l’OuLiPo, M. Guy Le Clec’h sera probablement pressenti.

Paul Braffort qui doit se rendre à Besançon, demandera au Centre de Recherches Lexicologiques de la vieille ville espagnole d’établir, si ce n’est possible, les intersections de vocabulaire entre les trois romans envisagés.

Au cours d’une digression sur Carnac, le T. S. Raymond Queneau se

déclare déçu par les menhirs qui sont, dit-il, de bien petite taille.

Albert-Marie Schmidt prend leur défense, arguant de leur nombre (con-

sidérable) et de leur alignement (parfait).

Albert-Marie Schmidt conserve d’ailleurs la parole pour lire un texte extrait des VOYAGES DE GULLIVER et concernant la machine de l’Académie de Lagado (orthographe non garantie — N. D. S. P.). Ce texte tout à fait remarquable prouve, chez Swift, des préoccupations d’ordre littéraro-potentiel très élevées. Noël Arnaud propose de le faire publier dans le Dossier du Collège consacré à l’OuLiPo. Cette proposition est acceptée avec enthousiasme.

(On remarque, non sans quelque amertume, que le bas-bout de la table (d’aucuns prétendant qu’il s’agit du haut-bout, mais ils font preuve d’esprit de parti), composé de MM. Lescure, Arnaud, Queneau et Le Lionnais (les plus remarquables Optimates du Collège, hélas !), réquisitionne toutes les bouteilles de vin de Bordeaux, et ceci sans raison — et même en ricanant.)

Raymond Queneau annonce le Super-Cocktail du 16 juin 1961, offert par les Etablissements Gallimard, en leurs salons et jardin, avec le concours des Sociétés Martini, Mumm, Cinzano, Orangina et Source Perrier.

Jacques Bens donne alors quelques Préliminaires méthodologiques pour la confection de Sonnets Privilégiés, tirés des CENT MILLE MILLIARDS DE POEMES. La définition d’un Sonnet Privilégié peut être ainsi énoncée (sous réserve de révisions ultérieures) :

« On appellera Sonnet Privilégié tout sonnet obtenu à partir d’un « ensemble déjà cohérent dans un précédent système de références. »

Jacques Bens donne quelques exemples de méthodes et invite tous

les participants à proposer des méthodes originales.

Le S.P. est chargé de réaliser le Sonnet Privilégié obtenu à partir des 14 membres de l’OuLiPo (cf. Documents annexes  ). Ce sonnet sera publié dans le Dossier OuLiPo.

En outre, François Le Lionnais demande que soit attribué un sonnet à chacun. Ceci ne pourra être réalisé qu’après adoption d’une méthode particulière.

Paul Braffort propose d’utiliser les 14 premières décimales de pi. Mais ce procédé, ne donnant qu’une seule solution, ne constitue pas, à proprement parler, une méthode.

Noël Arnaud donne alors lecture d’un très curieux « drame alphabétique en trois actes : LE ROI BAFOUE, par Simon Leroux. Il essaiera de joindre l’auteur, pour une éventuelle publication dans les Dossiers du Collège.

Raymond Queneau signale l’existence d’un village nommé LOULIPE (ou d’un cours d’eau intitulé L’OULIPE ?) , situé « après Chartres », sur la route de Paris à La Forêt-Fouesnant. (Il ne peut préciser davantage.) Le dictionnaire Larousse en deux volumes, consulté, ne tient compte ni de l’un, ni de l’autre. Il faudrait, sans doute, compulser un dictionnaire des communes.

Noël Arnaud donne lecture d’une lettre de Latis concernant les dérivés du mot OuLiPo (cf. Documents annexes  ). Chacun est invité à réfléchir aux remarques et propositions de Latis. Un vote interviendra lors d’une séance ultérieure. Dès à présent, cependant :

R. Queneau et A.M. Schmidt sont partisans de conserver OuLiPien, car :

A.M. Schmidt considère que la désinence Ot est « péjorative, badine et familière », si

bien que :

R. Queneau et J. Lescure proposent de la réserver aux « familiarités et mignardises » ;

J. Lescure aimerait également réserver OuLiPoètes (et OuLiPoèmes) à certaines

activités (il ne dit pas lesquelles) ;

J. Bens est tout à fait séduit par OuLiPotier et OuLiPoterie, à cause, prétend-il, du

contenu artisanal qu’ils comportent ;

A.M. Schmidt propose, à d’autres fins, OuLiPothèses ;

— Enfin, Noël Arnaud rappelle que « les mots créés doivent être solidement établis », car

c’est sur le vocabulaire que se fondent toutes les activités humaines, a fortiori les nôtres. (On lui donne raison).

Noël Arnaud propose la création d’un insigne de l’OuLiPo. Chacun est invité à envisager diverses possibilités. On en reparlera lors de la prochaine séance.

Jean Lescure s’engage à prendre contact avec M. Bokanovski pour la gravure et la diffusion, par le Ministère compétent, d’un timbre-poste à la gloire de l’OuLiPo. François Le Lionnais aimerait assez que ce timbre représentât Les Jeux OuLiPiques.

Jean Lescure présente la décade cerisyenne du 8 au 18 septembre 1961. Cette décade, qui prétend étudier Le Cinéma dans l’évolution des langages, est en réalité une décade de l’OuLiPo.

Malheureusement, il semble que peu de membres présents pourront y assister. Si bien que cette manifestation pourrait prendre un caractère potentiellement ésotérique.

Claude Berge, par exemple, sera à Calcutta. X… (conservons pudiquement son anonymat) insiste pour lui indiquer les « inoubliables » quartiers réservés de cette ville du Bengale occidental.

François Le Lionnais souhaite que des communications soient demandées aux membres duMM. MYAM. Jean Lescure prendra téléphoniquement langue avec MM. Philippot et Moles. Le S. P. leur adressera, par la suite, une invitation officielle.

La prochaine réunion aura lieu, au Restaurant Laborderie (40 rue de l’Université),

LUNDI 26 JUIN 1961

(en la fête de Sainte-Héloïse)

Pour le Secrétaire-Définitif,

le Secrétaire du S.P. :

Ythier Marchant.

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