OUVROIR DE LA LITTERATURE POTENTIELLE (Ou.Li.Po)
Circulaire n° 3
COMPTE-RENDU DE LA REUNION DU VENDREDI 13 JANVIER 1961
Assistaient à cette réunion : MM. Queval, Queneau, Le Lionnais, Lescure, Latis, Chambers, Duchâteau, Arnaud, Schmidt, Berge, Bens.
Lecture est tout d’abord faite de l’ordre du jour , que l’on approuve.
Raymond Queneau demande alors immédiatement la parole pour regretter que l’on ait omis de signaler, au cours des deux précédents comptes-rendus :
a/ que l’OuLiPo a été fondé sur l’initiative de François Le Lionnais ;
b/ que le titre Ouvroir de Littérature Expérimentale a été proposé par Albert-Marie Schmidt.
L’assemblée considère ces deux remarques comme parfaitement judicieuses et adresse un blâme (léger) au secrétaire de séance, blâme reçu par l’intéressé avec une décente confusion. Acte en est donné par le présent compte-rendu.
M. Latis fait aussitôt remarquer que l’abréviation OuLiPo est préférable à OLiPo. La remarque paraît pleine de sens, et la proposition qu’elle sous-entend est adoptée.
RELATIONS AVEC LE COLLEGE DE PATAPHYSIQUE.
Noël Arnaud précise que le rattachement de l’OuLiPo à la sous-commission des Epiphanies pourrait provoquer un certain étonnement parmi les membres du Collège. Il lui paraît souhaitable que ce rattachement se fasse dans le cadre de la sous-commission de l’Acrote. Adopté.
(Note : sur demande de François Le Lionnais, il est précisé que l’Acrote est le but idéal vers quoi doivent tendre les efforts des hommes. Ou ce qui en tient lieu.)
BULLETIN.
Raymond Queneau demande la parole pour s’élever contre ce projet qui lui paraît prématuré. Il est cependant convenu que les circulaires seront étendues et pourront sortir du cadre des stricts comptes-rendus de séances.
La duplication des circulaires pose un problème qui sera peut-être résolu grâce à un appareil « Ormatic » avec qui Noël Arnaud pourrait éventuellement nous mettre en relations.
TRAVAUX EN COURS.
Jean Lescure donne lecture de et verse aux archives de l’OuLiPo un ensemble de textes destinés à l’élaboration d’une Histoire des Littératures Expérimentales. Il s’agit essentiellement d’exercices de prononciations sous forme, soit de listes de mots, soit de discours cohérents construits sur des vocables comportant les mêmes sons.
M. Latis propose de verser aux archives des extraits de la traduction d’une grammaire russe, extraits que nous pourrions obtenir de l’obligeance de M. Lucien Barnier.
Dans le même ordre d’idées, Jean Queval propose des textes de Smollett, écrivain
britannique. Ceci conduit plusieurs assistants à proposer la collaboration de MM. Ross Chambers, Stanley Chapman et Simon Watson-Taylor pour l’H.L.E.
Albert-Marie Schmidt cite alors Morgenstern comme par Jean Lescure exemple d’un écrivain intraduisible. M. Latis conseille de voir M. Bouché à propos de Morgenstern.
Reprenant l’idée de Raymond Queneau relative aux textes lus par Jean Lescure, François Le Lionnais propose de corriger les prétendus grands auteurs de la littérature française. C’est dans cette voie que Raymond Queneau démontre la « redondance » de Mallarmé en n’utilisant que les fins de vers de ses Sonnets, fins de vers beaucoup plus claires et évocatrices que les Sonnets eux-mêmes.
Mais c’est dans un sens un peu différent que Jean Lescure s’est attaqué aux Hymnes tirés du Bréviaire Romain de Jean Racine. Il lit quelques exemples assez convaincants , puis les verse aux archives de l’OuLiPo. (Nous demanderons à Jean Lescure de consentir à les présenter par une brève note explicative et nous les publierons en annexe d’une prochaine circulaire.)
Albert-Marie Schmidt s’engage à communiquer, lors d’une prochaine séance, des textes de Grands Rhétoriqueurs, notamment du Chevalier de Piis. Cette communication est d’ores et déjà inscrite au prochain ordre du jour .
Une discussion s’élève alors entre Raymond Queneau et Jean Lescure à propos des calligrammes. Celui-ci les considère comme relevant de la littérature expérimentale, celui-là non. La question n’est pas tranchée.
L’ordre alphabétique dit « POURQI » est adopté. Sa première application consiste en l’élection de Noël Arnaud comme prochain président de séance.
Le « Supplément au Journal de Jules Renard » soulève quelques protestations. Raymond Queneau est, naturellement, contre :
- C’est de la psychologie, dit-il ; non de la littérature potentielle.
- Pardon, réplique Jean Lescure : nous nous plaçons sous le seul angle de la rhétorique.
- Dans ce cas, vous allez faire du Platon, rétorque le contradicteur.
Finalement, on adopte la publication du seul supplément cité en exemple, à condition que cette publication conserve les noms réels. (Voir cet exemple dans la partie « Documents » de la présente circulaire.) Lescure demande seulement que de futurs suppléments ne soient pas exclus a priori. Cette grâce lui est accordée.
La communication de Jacques Duchâteau est renvoyée, sur sa demande, à la prochaine séance, après qu’elle aura été revue en collaboration avec Claude Berge.
M. Latis signale que M. Lucien Barnier est en train de préparer des travaux de quadrichromie expérimentale. A partir de la sélection d’un tableau de Jean Dubuffet, il se propose de tirer les clichés en permutant les couleurs primaires. Les membres de l’OuLiPo se déclarent intéressés au plus haut point par cette expérience et souhaitent avoir communication des résultats.
Après la communication de Jacques Bens, Raymond Queneau croit devoir faire remarquer que le secrétaire provisoire est affligé du « complexe d’OuLiPo ». Cette remarque obtient un franc succès de la part de tous les assistants (sauf un).
Dans le même ordre d’idées, François Le Lionnais propose l’utilisation de personna-
ges imaginaires. Ainsi : Q.B., personnage énigmatique et rabelaisien des Fanfreluches antidotées. A la suite de cette intervention, Q.B. est accepté comme membre de l’OuLiPo.
Claude Berge propose ses services pour l’élaboration d’un code utilisable par tous les membres de l’OuLiPo. Communication sera faite ultérieurement du résultat de ces travaux.
Il est tard. Jean Lescure se lève. Au moment où il va parvenir à s’enfuir, Raymond Queneau lui demande quelle aide il compte obtenir, pour l’OuLiPo, de la part des services de la R.T.F.
Jean Lescure reste évasif.
Raymond Queneau insiste et précise :
- Une émission, non ?
A quoi Jean Lescure répond superbement :
- Le service de la recherche ne débouche pas sur l’antenne.
Cependant, il semble que ce service dispose d’une machine à photocopier utilisable pour la duplication des circulaires. (Note : vérification faire, cette machine n’est pas utilisable, d’une part à cause de la longueur des tirages ; d’autre part, parce qu’elle est gardée avec un soin jaloux.)
M. Latis signale, à toutes fins prochainement utiles, que certains membres du Collège débouchent et sur l’antenne, et sur la presse, et que, le moment venu, on pourra peut-être solliciter leur concours. Bonne note en est prise.
– §-
La prochaine séance aura lieu le mardi 14 février , jour faste puisqu’il réunit à la fois Mardi-Gras et Saint-Valentin.
Le président de séance sera Noël Arnaud.
Les communications actuellement prévues sont :
- Albert-Marie Schmidt : sur les Rhétoriqueurs (et singulièrement le Chevalier de Piis) ;
- François Le Lionnais : poèmes en langue Algol ;
- Jacques Duchâteau : établissement d’une table psycho-logistique.
Il est souhaitable que les autres communications soient signalées au secrétaire provisoire avant le 7 février, pour que l’ordre du jour soit soumis aux membres de l’OuLiPo avec un raisonnable délai de réflexion.
Le secrétaire provisoire,
Jacques Bens.
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